Approche psychique des émotions des accompagnants et des soignants
Editions Seli Arslan
Hélène Viennet est une psychologue, fine clinicienne parce que psychanalyste, qui nous fait entrer dans son espace de pensée quand ceux qui sont confrontés à la très grande douleur de la mort prochaine ou de la dépendance qui n’en finit pas, ne peuvent plus penser la situation de l’autre à qui ils sont liés par l’amour ou leur métier.
Son excellent livre donne vie et présence aux centaines de milliers de personnes concernées par cette question essentielle du soin au long cours, de la dépendance et des soins palliatifs. La construction subtile du livre réussit à établir un dialogue entre la reprise des paroles entendues et l’élaboration de l’analyste qui leur donne sens. Elle précise le bien fondé des paroles quotidienne saisies au vol, jaillies de la souffrance des personnes dépendantes, de la douleur morale des proches et de l’épuisement des soignants, venu de la fastidieuse répétition des actes élémentaires.
Son ouvrage est la transcription de son écoute de plusieurs espaces psychiques qui s’interpénètrent et interagissent. L’entrée dans la maladie chronique ou létale, le poids du handicap ou de la démence créent dans une famille une turbulence, destructrice d’une vie établie. Cette souffrance exige qu’un nouvel équilibre soit établi pour précisément préserver la vie de celui ou de celle qui le cause.
Hélène Viennet travaille non seulement à domicile dans une unité mobile de soins palliatifs, mais aussi en EHPAD (Etablissement d’Hébergement pour Personnes Agées Dépendantes) et à l’hôpital dans un service de réanimation. La richesse de son livre vient de ses points multiples d’écoute. Elle interroge la position et les émotions exprimées par chacun depuis sa responsabilité dans la parole adressée. L’annonce de l’entrée dans la maladie incurable, dans le handicap excluant ou l’engagement dans le renoncement qu’implique le soin palliatif, est fortement chargée d’émotions par celui qui la prononce mais aussi par le tiers aidant qui la reçoit. Ce moment crucial induit des maladresses, des peurs, des sentiments de rejet qui seront la source de conflits ultérieurs.
Pour prévenir ces situations qui accroissent la douleur des proches qui se retrouvent qualifiés d’« aidants », parfois à leur insu, Hélène Viennet érige en principe absolu d’écouter la famille, les soignants et la personne qui est l’objet de cette attention si difficile à harmoniser. Souvent la demande est oppressante. Hélène Viennet fait entendre ce qu’elle nomme, au sens de Freud, l’inquiétante étrangeté qui survient quand les personnes, patients et aidants, ne peuvent pas encore se reconnaître dans cette situation si nouvelle et si prenante qui bouscule leur être et leur vie. Il faut trouver les mots pour faire venir ce qui désamorce l’angoisse et l’étrangeté survenue. Faute de cette présence écoutante, des conflits mettent en scène l’angoisse et entravent la prise en charge.
Le livre est très structuré. A chaque temps de sa réflexion, l’auteure s’appuie sur des situations de vie. Elle relate ainsi des situations d’une violence intense où l’agressivité envahit la relation, où l’exigence de mourir est portée contre l’équipe et la thérapeute, où l’appel, l’injonction à la mort ne peuvent être pris au pied de la lettre : « Dire « il faut qu’elle meure » ne vient donc pas sommer l’autre de le faire. » Engager un travail d’élaboration de la parole est tout l’enjeu de ce livre. « Parler lui assure le holding. Il est soutenu, contenu, entendu. » D’avoir rencontré une écoute permet à ce patient bouleversé et en colère d’accompagner sa jeune femme jusqu’à une mort apaisée.
Dans la demande d’un répit, Hélène Viennet entend le besoin psychique de penser la situation et son devenir. Le temps d’élaboration préalable transforme les sujets en leur proposant une autre espace psychique pour rêver et penser un ailleurs que l’univers des soins palliatifs ou de la dépendance dont l’emprise est devenue assourdissante.
« C’est en parlant d’abord de leur proche malade (…) dont ils se préoccupent nuit et jour que les aidants pourront parler d’eux mêmes. » Par cette manière élégante, l’auteur décrit sa position d’analyste qui non seulement écoute mais suscite la survenue de la parole malgré l’embarras d’une situation routinière ou d’une crise existentielle.
Chaque page du livre d’Hélène Viennet peut devenir le sujet d’une méditation individuelle ou collective. Ce livre fin et intelligent, d’une belle écriture, ce que soulignent ses deux préfaciers Henri de Rohan-Chabot, co-fondateur de France Répit et Eric Fiat, philosophe, s’adresse aux aidants et aux soignants, à tous ceux qui souhaitent une politique de santé attentive à la personne souffrante et à ses proches, les aidants.
Alain DENIAU