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Paris – Richard Broda : Au-delà de la métaphore paternelle
20 avril 2022 @ 20 h 45 min - 23 h 00 min
Au-delà de la métaphore paternelle ?
Le père comme objet partiel ou sommes-nous entrés dans la civilisation post-œdipienne ?
Discutant : Claude Rabant
En voulant contribuer au thème de l’année « l’enfant père de la psychanalyse », nous aimerions aborder une question qui appartient par sa face externe à l’anthropologie et sa face interne à la psychanalyse. De nos jours, l’enfant est-il concerné par un devenir œdipien ?
On le sait, la découverte de la psychanalyse, liée à la découverte de l’Œdipe par Freud est grandement conditionnée par le déclin de l’imago paternelle (ou patriarcale), à la charnière du XIXè siècle et du XXe siècle. La fuite de Breuer devant la séduction d’Anna O. ouvrit l’oreille de Freud quant à la puissance des transferts. Lui-même confie à Fliess dans la Correspondance que Frau Caecilie fut son professeur es sexualité pour l’étiologie de l’hystérie. Au mitan du XXe siècle, le déclin de l’imago du père se poursuivant, Lacan invente le Nom du Père comme ce signifiant d’exception qui fonde la structure. La reproduction de l’espèce humaine ne dépend en aucune manière d’une loi copulatoire mais des lois réglant la parenté pour la perpétuation de la famille et de la société d’une part et, d’autre part, le discours implicite de la mère fait sentir la référence que son désir trouve dans une loi, celle inscrite dans le Nom du Père, interdisant à son amour de déborder de la tendresse à la sensualité. C’est un cas unique dit M. Safouan, où l’autorité d’une loi réside non pas dans la personne, mais la représentation de cette autorité. L’enfant se retrouve lié à son père par les liens d’une dette.
Le père réel est-il toujours nécessaire pour la supporter, cette loi ? C’est la question qui nous a piqués au vif. « Se passer du père à condition de s’en servir » semble être une citation fausse de Lacan .N’empêche que ce dernier parle de l’orientation paternelle comme « père-version », dans un séminaire tardif.
Alors qu’en est-il dans la civilisation contemporaine ? Que produit la dérogation à la métaphore paternelle ? Le risque est bien là que loin d’être lié à la métaphorique paternelle, le sujet dans l’actuel peut dériver dans un procès métonymique illimité, soit le monde de la demande sans fin. D’où la fréquente occurrence des états-limites dans nos consultations ? Acquis de la médecine, les procréations médicalement assistées répondent à une demande sociale qui évite l’épreuve du symbolique. Les enfants qui en sont issus seront à la recherche d’un père. « Pourquoi en a-t-il un et pas moi ? » dit l’enfant d’un couple d’homosexuelles, refusant de retrouver la conjointe de sa mère, à la sortie de l’école. Faute d’un père à tuer (et on doit insister sur le mot « faute »), la poursuite d’un père pourra aboutir à un Père Idéal (chef de secte, meneur, ou dictateur, etc.), ou au Père de la religion. SI l’instance paternelle se trouve réduite au donneur de gamètes par la mère, les sujets n’auront de cesse de retrouver l’agent biologique comme cause de leur origine. De fait, il y a une multiplicité de configurations possibles selon les couples, ou les femmes seules, les pays, offertes par la PMA.
De toute façon, le père (Nom du Père) peut devenir un objet partiel, père-donneur ou père non géniteur, dans une économie de marché de gamètes et de location d’utérus (Ukraine, USA, Inde, etc.). Il est même recommandé aux mères porteuses de ne pas avoir de sentiment pour l’enfant « à naître ». Anthropologues et psychanalystes s’accorderont pour déclarer que l’économie néolibérale mondialisée n’a pas de restriction ni de honte à trouver dans la procréation ou d’autres domaines du corps, en transgressant sa sacralité, l’occasion d’un commerce lucratif qui nivelle le « faire-société » et le symbolique (1).
Note (1) M. Safouan a consacré la dernière partie de son œuvre à cette problématique, en particulier dans « Regards sur la Civilisation Œdipienne et « La Civilisation post-œdipienne ». (Hermann)