Je n’avais pas du tout prévu, dans mon parcours d’analyste, de travailler avec ces hommes qu’on appelle « les migrants ». J’écoutais parler d’eux, dans l’actualité, avec beaucoup de questions. J’avais le sentiment qu’on en parlait comme d’une foule, anonyme, quasi spectrale ; et, en tout cas, sans visages sur lesquels on s’arrête et que l’on peut regarder, contempler, nommer.
Plus le temps passait, moins je pouvais me reconnaître, reconnaître notre humanité, notre présence humaine dans ce qui avait lieu avec les migrants…
Je n’oublie pas le premier homme qui a fait une demande, par l’intermédiaire du foyer de Pouilly en Côte d’or, foyer où il résidait pour sa demande d’asile. une demande de parole, dont la directrice du foyer a été la médiatrice, une demande de pouvoir parler de ce qui lui arrivait, une impossibilité à dormir, des nuits envahies de cauchemars et de souvenirs de tortures. J’ai accepté de venir le rencontrer, lorsque j’ai appris (et vérifié) que les CMP et psychiatres de la région ne pouvaient pas le recevoir, et qu’il n’y avait, pour l’instant, vraiment pas d’autres solutions.
Je n’oublie pas son visage. Il m’est apparu. Sorti, donc, de la foule anonyme. Il voulait parler, quand même parler, après avoir déjà consulté le médecin qui lui avait prescrit des médicaments. Indispensables médicaments. Il voulait parler, pas seulement attendre l’éradication du symptôme. C’était parler qu’il voulait, et je me demandais bien comment cela était possible, alors qu’il avait, je l’apprendrai, été tant de fois trahi par la parole, sur son chemin. Je n’en revenais pas, osant à peine l’écouter !
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