Analyse, thérapie, pathologie
Les tourniquets de nos guérisons.
Michel HESSEL 3 juillet 2008
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Pouvons-nous croire à une psychopathologie partageable entre les psychanalystes et un public éclairé (philosophes, médecins, psychologues, éducateurs) quoique indemne de l’épreuve de l’analyse ? Comment faire sans un minimum de cette croyance, de cet appui sur l’ « interlocuteur impartial », pour élaborer la moindre pratique qui s’inscrive dans un lieu tiers entre le lieu de la cure et celui de la connivence communautaire ?
Cette adresse publique constitue toujours un franchissement vertigineux qui restitue au praticien sa propre mise de parole sans laquelle il se retrouve déboussolé dans les flux indomptables des transferts. Parole au-dehors, condition d’un silence rendu à sa plus analphabète nativité dans le lieu où parle l’analysant.
Nous voici réduits à supporter cette double contrainte que le frayage lacanien pourrait écrire ainsi : il faut de l’autre pour soutenir qu’il n’y a pas d’Autre de l’Autre.
Premier étage : rayon rebuts et rebus.
Les rencontres avec l’écriture psychanalytique et ses rebuts dans le champ culturel font des petits. Certaines personnes y trouveront l’identification d’un mal en souffrance d’être constitué comme tel avant même que d’être éprouvé. Traversées de textes en quête d’auteurs, à l’instar de ces pathomimies qui ont tramé les écritures préhystériques de la psychanalyse : épilepsies, hypnoses et périodes. Toux de Dora et mises bas de la jeune homosexuelle, calculs de rats et cauchemars de loups, tout un cortège de signaux vient peut-être autant indiquer une postérité d’actes qu’une invariance de structure. Postérité de faits gageant que la souffrance prend rendez-vous avec le dire.
A charge, pour la psychanalyse, de laisser sa chance au singulier en souffrance d’inscrire une découpe inédite sur le fond confondant des jouissances identitaires : la servitude volontaire n’est jamais avare de s’offrir au nom du UN.
Deuxième étage : la bonne à tout faire
Le vocabulaire psychanalytique, aplati à cette fin par une typologie de caricature, n’a pas manqué de concourir à divers discours de maîtrise tant dans le champ socio-juridique que dans les institutions et entreprises. Cette dérive est d’autant plus pernicieuse qu’elle sert au premier chef l’exclusion de l’étranger et l’hallucination collective d’une norme.
Nomination par le groupe de ce qui lui fait extérieur unifiant, elle échappe à toute discipline de réel : on parle entre experts.
Il y a là une aubaine pour les entreprises de conditionnement mental qui se parent des couleurs de la cure d’âme pour mieux écraser les résistances de la parole et des larmes, de la différence sexuelle toujours inégale et des résurgences de l’ancestral, toujours déplacées.
Troisième étage : rayon ethologie-étiologie
Où dénicher le pathologique dans ses conditions de formation spontanées ??? A question idiote réponse idiote : au café du coin. L’éviction de la psychanalyse hors des champs thérapeutiques « sérieux » (évaluables) pourrait bien réduire les analystes en formation au retour en force d’une violence de l’interprétation que l’accueil au sein d’équipes pluridisciplinaires pouvait parfois tempérer.
Les aiguillages lents d’une certaine psychiatrie de secteur qui laissaient au temps le temps à la faveur d’inscriptions de lieux sont en déroute. Pour des générations de psychanalystes qui ont pu être pour part instruits par les murs de l’asile et leurs murmures, la situation actuelle est douloureuse à penser. Ce que nos aînés ont frayé, jamais sans transgressions fondatrices, sera-t-il à nouveau franchissable pour les générations futures ?
L’écart et le règlement : divorce avec fin et sans fin
La double contrainte évoquée plus haut ne peut être toute imputée à la maldonne sociale. Elle reste rivée aux fondements de l’acte psychanalytique et de la dynamique du symptôme qu’il emporte avec lui. On pourrait en schématiser le contour en évoquant, ce qui rime drôlement avec la stratégie perverse, un désaveu et un clivage.
Désaveu de posture : l’analyste s’offre à une version du désir de savoir sans en dénoncer l’inéssencialité (qui le loge) Contrepoint de ce désir, une réserve de l’analyste quant à sa capture par l’intrigue lui fait bord instable, à ne s’y laisser confondre que par surprise.
Clivage de méthode : pas de représentation d’attente qui tienne à l’écoute, et moins que toute autre celle de la guérison, condition à ce qu’elle s’y ajoute d’elle-même.
Comment régler les conditions d’un acte ? Comment procéder autrement qu’à corps défendant ? Serait-ce l’entrelacs du transfert qui en appelle à tous nos soins ? Ou bien tout à l’inverse s’agit-il plutôt d’en escamoter les restes parasitaires afin de rendre au corps réel toute sa dimension d’étrange lorsque se clôt la rencontre ?
Avec tous ces petits cailloux dans sa chaussure, la psychanalyse ne peut se fondre sans reste dans un projet de guérison collective de l’âme humaine :
elle reste séparée des objets culturels et cultuels, censés concourir à un progrès tempéré, aux côtés de la Science, de la vie de l’esprit et des renoncements pulsionnels au profit du lien collectif. Les totalitarismes sont là pour nous rappeler combien le mieux conduit au pire, combien l’unien fait le lit du retour de thanatos désintriqué.
D’une guérison l’autre
A s’établir soi-même que reste-t-il de l’auteur ? L’institut rêvé par Freud dans « La question de l’analyse profane » peut-il exister ailleurs que dans l’ailleurs des psychanalystes : linguistique, littérature, histoire des religions …?
Indispensable d’y ajouter la pathologie, certes. Mais laquelle ? Celle du transfert et des moments psychotiques à traverser dans une cure ou bien celle des critères justifiant l’intervention d’un tiers médical ? Une psychopathologie de la présentation des espèces morbides, une hygiène de la fabrique du cas ou encore un enseignement au lit du malade?
La réglementation des psychothérapies menace les psychanalystes d’avoir à justifier leurs silence . Ce qui est impossible à quiconque observe la rigueur de la méthode de Freud . D’où l’embarras qu’il y a à s’asseoir aux côtés du législateur sans sombrer dans des tourbillons de toute-puissance ou de paralysie .
La fascination par les idéaux de réparation ou de séparation ne peut manquer de hanter toutes nos tentatives de positionnement de l’analytique par rapport aux catégories des discours gestionnaires .
Le je-nous des psychanalystes est boiteux. Il se dérobe comme une foule éphémère se refuse à se stabiliser, à opiner du chef .
La dimension désobligeante de l’invention de Freud ne cesse pas de ne pas s’inscrire au registre des biens de la Cité. Le risque fou que prennent celles et ceux qui se fient aux dires d’un malaise pour en instruire leur choix auprès de nous nous engage cependant bien au-delà de ce qu’on en sait .
Michel Hessel 3 juillet 2008