Deuxième session des rencontres de Dijon qui s'est déroulée le 17 octobre 2009.
Accéder également à chacun de ces textes par les documents PDF ci-dessous:
1° PDF : Leclaire lecteur de Freud – Dominique Corre (Cliquez pour ouvrir le document)
2° PDF : Le rêve et la licorne – Monique Tricot (Cliquez pour ouvrir le document)
Leclaire lecteur de Freud
Dominique Corre
Savoir qu’on n’écrit pas pour l’autre, savoir que ces choses que je vais écrire ne me feront jamais aimer de qui j’aime, savoir que l’écriture ne compense rien, ne sublime rien, qu’elle est précisément là où tu n’es pas – c’est le commencement de l’écriture.
Roland Barthes
1. Introduction
« Psychanalyser » est le premier livre de Serge Leclaire [1968]. Il est précédé de nombreux textes ou articles que nous pouvons trouver dans un recueil en 2 volumes « Ecrits pour la psychanalyse » édité en 1996.
Le sous-titre de ce premier livre: « Un essai sur l’ordre de l’inconscient et la pratique de la lettre » indique où Leclaire nous mène, au cœur de l’expérience analytique et au plus près de cette fiction d’un « pur être de désir » telle qu’il en a fait l’hypothèse dans ce texte de 1965 « La réalité du désir[1] ».
Le premier chapitre de ce livre « De quelle oreille il convient d’écouter » « tente de rendre compte dans le détail et le concret de la pratique du psychanalyste » comme nous l’a si bien fait entendre Danièle Lévy[2] en juin. Lisez son texte !
Entendre le désir inconscient dans sa singularité – Leclaire écrit même son extrême singularité – et sa littéralité, c’est à cela qu’il nous engage.
Etre attentif à la singularité du désir inconscient exige, nous dit-il, « de disposer d’un ensemble théorique et en même temps de récuser tout système de référence ». Position paradoxale, difficile, voire intenable. Mais écrit-il « la rigueur du désir inconscient, sa logique ne se dévoilent qu’à celui qui respecte simultanément ces deux exigences de l’ordre et de la singularité »[3].
Avant de vous présenter le travail de Leclaire sur le « texte freudien » je voudrais vous livrer quelques précisions, en guise de repérages, concernant la manière dont Leclaire s’appuie sur Freud pour poser ce qu’il entend par inconscient, désir inconscient et lettre.
L’inconscient
S. Leclaire parle de l’Inconscient en terme d’ordre, « ordre inconscient », ordre signifiant » ou encore écrit-il « ordre de la lettre ».
Dans un texte antérieur « La réalité du désir voici ce qu’il écrit:
« L’inconscient n’est pas …ce sens connexe plus ou moins caché sur l’envers du décor, il n’est pas l’envers de la médaille, cet envers des choses comme on se l’imagine communément. On ne saurait jamais assez y insister, l’inconscient est autre chose (et non pas seulement l’envers de la chose) c’est un autre discours, sans commune mesure, ni de logique ni de sens … une autre structure »[4] « un autre discours, radicalement autre… sans rapport avec le premier discours pour autant qu’il est plein de sens…. Il faut, dit-il, faire le pas du « pas de sens » pour échapper au cercle vicieux d’une structure unique, pour sortir du champ psychologique traditionnel, qui s’appelle en termes freudiens, le système conscient préconscient (Cs/Pcs). »
En cela, Leclaire se tient au plus près de la pensée freudienne ; Freud admet deux systèmes psychiques absolument distincts, deux topiques psychiques dont les processus sont absolument différents. « Les représentants de la pulsion qui constituent le noyau de l’inconscient, persistent les unes à coté des autres sans s’influencer ni se contredire entre elles…Il n’y a dans le système ni négation ni doute, ni degré de certitude…Il y règne une plus grande mobilité des intensités d’investissements…. Condensation et déplacement sont les éléments caractéristiques du processus psychique primaire…. Les processus du système inconscient sont intemporels…. Ils n’ont pas davantage d’égard à la réalité…ils sont soumis au principe de plaisir » (Cf. Métapsychologie – L’Inconscient)
Leclaire insiste dans nombre de ses textes sur ce statut particulier de l’Inconscient : altérité radicale, hétéronomie, antinomie de ces deux systèmes que sont le système Inconscient et le système Préconscient/Conscient.
Et dans ce texte il insiste sur le fait que « l’aventure analytique menée par Freud comme il apparaît dans le rêve de la monographie botanique, s’engage vite hors de tout sens commun comme de tout bon sens, sur la véritable voie de l’inconscient »
Leclaire insiste dans nombre de ses textes sur ce statut particulier de l’Inconscient, altérité radicale, hétéronomie, antinomie de ces deux structures que sont le système Inconscient d’une part et le système Préconscient/Conscient d’autre part.
Le désir inconscient
Freud insiste tout au long de la Traumdeutung sur l’indestructibilité du désir inconscient « dans l’inconscient, rien ne finit, rien ne passe, rien n’est oublié »[5]
Et Leclaire pose la question : Qu’est-ce qui fait la cohérence … indestructible du système inconscient ?
A quoi il répond : « Ce ne peut être un « sens » car l’inconscient est proprement insensé…. Et cette force qui donne sa cohérence inéluctable et aveugle au système inconscient porte un nom : le désir ». C’est là, sous la forme de cette sorte d’âme de l’inconscient que nous rencontrons la réalité du désir. »
L’inconscient pour Leclaire est un système « un ensemble dont le rapport des éléments entre eux se caractérise par une absence de contradiction, par une absence de liens chronologiques, par une absence de critères de réalité et une indétermination totale du sens. Mais qu’est-ce qui fait tenir en système cet ensemble d’éléments dont les caractères sont de ne reconnaître aucun lien, éléments de pure singularité ?
« Le désir, l’être même, l’âme de l’inconscient » c’est cela nous dit Leclaire qui sous-tend deux « éléments de pure singularité qui ne reconnaissent entre eux aucun lien. Le désir inconscient c’est cette force, ce ciment de l’ensemble inconscient »
La lettre
« Dans le vocabulaire freudien le terme de représentation (Vorstellung) est la forme dans laquelle s’inscrit au sein de l’appareil psychique, l’émoi suscité par une pulsion… »
On peut sans doute trouver dans cette référence, pour Leclaire le point d’ancrage de la Lettre.
Ces «éléments de pure singularité » Leclaire va les nommer « lettres » ou ensemble de lettres, il utilise aussi le terme de « chaîne littérale ».
L’Inconscient est un ensemble de lettres. Et c’est de cela, de la lettre qu’il nous entretient tout au long de son ouvrage
Il définit la lettre comme « la matérialité du trait dans son abstraction du corps » abstraction devant être entendu à la fois dans son sens commun et comme opération de détachement du corps. .[6]]
Il la définit dans sa distinction d’avec le signifiant[7] .
« Un signifiant ne saurait d’aucune façon être considéré comme une lettre seule. Un signifiant ne peut être dit tel que dans la mesure tout à fait repérable où la lettre qui en constitue un versant renvoie nécessairement à un mouvement du corps. C’est cet ancrage électif d’une lettre (gramma) à un mouvement du corps qui constitue l’élément inconscient, le signifiant proprement dit »
Le signifiant ce serait une lettre, plus un mouvement du corps.
L’inconscient ce serait un ensemble de lettres abstraites du corps mais renvoyant à un mouvement du corps.
Avec le « rêve à la licorne », Monique nous en dira plus tout à l’heure.
2. « Avec Freud, Lire Freud. Le désir inconscient ».
Dans ce second chapitre de « Psychanalyser », en suivant au plus près le « texte » freudien dans l’analyse de ses propres rêves, Leclaire tente de nous montrer comment Freud s’est approché de cette double exigence de « l’ordre et de la singularité » dans le dévoilement du désir inconscient. Il nous emmène au coeur de ce qu’il souhaite nous faire toucher du doigt : la littéralité de l’expression du désir inconscient.
Pour Leclaire comme pour Freud le rêve est cette « voie royale vers l’inconscient »
Il reprend cette définition de Freud : le rêve se déchiffre comme un rebus.
Mais Freud pose une distinction entre contenu manifeste ou texte littéral du rebus et contenu latent ou pensées (latentes) du rêve.
Le texte du rébus se traduit par la formulation en mots des figures du dessin, mais de plus, un indice de la nature des pensées latentes doit être perçu pour qu’une expression de l’énigme puisse s’ordonner en mots.
Le mode de rapport des deux textes ne peut être reconnu qu’une fois connu l’alphabet qui constitue l’écriture des pensées du rêve, différent de l’alphabet du contenu manifeste.
.Et pour cela il va suivre la démarche de Freud dans l’analyse de ses rêves, principalement avec deux rêves de Freud « le rêve de l’injection faite à Irma » et « le rêve de la monographie botanique ».
Il faut bien avoir en tête que, dans ce que Leclaire avance, beaucoup se trouve déjà dans le texte de Freud. Pour s’en apercevoir il faudrait lire d’un œil le texte de Freud et de l’autre le texte de Leclaire.
Leclaire fait plus que lire Freud, il applique au texte de la Science des rêves et aux autres textes de Freud auquel il fait référence, le principe même énoncé par Freud. « Tout ce qui vient après coup, lors de l’analyse doit être mis au compte des pensées du rêve »
Non seulement il suit au plus près la démarche de Freud mais son génie c’est « d’aller au-delà ». Ce qu’il écrit « A propos d’un fantasme de Freud »[8] : « Si le psychanalyste… devait se donner des lois, transgresser au sens de franchissement, passage au-delà serait son commandement premier, un acte fondamental et fondateur ».
Pour poser ses hypothèses, il prend le parti de lire l’ensemble du texte comme si c’était les associations du rêveur Freud. Ce qui est juste avant dans le texte, ou juste après, ce que Freud ajoute en note – par exemple la référence au texte sur « Les souvenirs écrans » où il trouve le souvenir des fleurs arrachées à Pauline.
Il prend Freud au mot, « Plus on analyse les rêves, plus on découvre de traces d évènements d’enfance qui ont joué dans le contenu latent le rôle de source du rêve »[9]
Le rêve de l’injection faite à Irma, est le premier rêve dont Freud nous livre l’analyse, rêve qui ouvre la Traumdeutung, Il est cité par Freud juste avant le travail sur le rêve de la Monographie botanique. Leclaire ne nous donne pas le détail de l’analyse livrée par Freud mais y repère simplement l’un des termes, voire le premier terme d’une série qu’il retrouvera dans l’analyse des rêves suivants.
« C’est bien un exploit que Freud accomplit en rêvant puis en interprétant la scène de l’injection faite à Irma. Ce qu’il reconnaît 5 ans plus tard, au cours de l’été qui suit l’échec de la parution de la Traumdeutung en écrivant à son ami Fliess :
« Crois-tu vraiment qu’il y aura un jour sur la maison une plaque de marbre sur laquelle on pourra lire : Ici fut révélé, le 24 juillet 1895 au Dr Sigmund Freud, le secret des rêves. »
« C’est dans cette nuit de rêve que s’écrit cette phrase qui résume sa découverte : « Après complète analyse, tout rêve se révèle comme un accomplissement de désir »
« La préoccupation majeure de Freud à l’époque du rêve se rapporte aux problèmes de conception, de fécondité, procréation et création, tel qu’en témoigne une lettre à Fliess; le désir qui le hante semble être le désir de forcer le secret du désir, de dévoiler la réalité de la vie sexuelle. »
Serge Leclaire entrevoit ici « les racines d’un fantasme de Freud en s’arrêtant sur les termes que Freud grave sur la plaque de marbre… « Enthüllen … dévoiler, révéler »
Rêve de la monographie botanique
Leclaire va s’appuyer à trois reprises sur l’analyse du rêve de la monographie botanique que Freud a tiré de ses « carnets de rêves » [10]:
Il montre comment Freud s’est approché de cette logique du désir inconscient.
Il faut noter que Freud revient d’ailleurs lui aussi plusieurs fois sur ce rêve dans « La science des rêves »[11]
Début mars 1898 Freud rédige le 2ème chapitre de la Traumdeutung, celui où est relaté le rêve de l’injection d’Irma. Il reçoit une lettre de son ami Fliess « Je pense beaucoup à ton livre sur les rêves. Je le vois devant moi achevé et je le feuillette. »
La nuit suivante, Freud fait le rêve dit de la Monographie botanique :
« J’ai écrit la monographie d’une certaine plante, le livre est devant moi, je tourne précisément une page où est encarté un tableau en couleurs. Chaque exemplaire contient un spécimen de la plante séchée, comme un herbier. »[12]
Pour Leclaire comme pour Freud ce rêve, comme le rêve d’Irma, est un rêve de justification : « aux critiques comme à son vœu profond le rêve répond que c’est virtuellement lui, Freud, qui a découvert la cocaïne ; c’est aussi une réponse aux reproches du père quand à la dette chez le libraire : sa passion des livres n’est pas stérile puisqu’elle l’a mené à en écrire un, la monographie sur la cocaïne. »
Mais nous dit Leclaire, en suivant Freud, «… il s’agit là, certes de pensées latentes » premier niveau d’interprétation qui donne à penser que ces strictes pensées latentes sont de l’ordre du préconscient « … cependant l’analyse du rêve nous mène plus loin, au-delà des strictes pensées latentes du rêve, dans la détermination du désir inconscient proprement dit qui l’anime. »
Leclaire pointe une indication de Freud « Pour reconnaître à travers tous les déguisements conscients ou préconscients la source même qui est le désir inconscient, on peut se fier à ceci que « dans la plupart des rêves, on reconnaît un centre présentant une intensité particulière. C’est en général la représentation directe de l’accomplissement de désir » [13]
Freud, nous dit Leclaire, « renvoie alors à la section 2 du chapitre VI où après avoir rappelé combien les éléments essentiels ne jouaient, dans la pensée du rêve, qu’un rôle très effacé, il nous apprend à distinguer « le centrage apparent du centrage réel du rêve : le rêve est autrement centré, son contenu est ordonné autour d’éléments autres que la pensée du rêve»[14]
Ici, nous dit Leclaire, « s’ouvre une autre perspective de Freud sur laquelle débouche un autre niveau des pensées latentes du rêve, qui peut être dit plus formel que significatif ».
« Freud propose comme exemple le rêve de la Monographie botanique où la pensée du rêve tourne autour des difficultés, conflits, rivalités entre collègues, puis autour de l’idée « qu’il sacrifie trop à ses fantaisies » alors que le centre est visiblement le mot « botanique » mot carrefour où se retrouvent nombreuses associations d’idées. »
« A ce mot central se rattachent les éléments épars de l’expérience de la veille : le Pr. Gardner (jardinier) rencontré alors qu’il était en compagnie du Pr. Konigstein, (Freud avait écrit une monographie sur la cocaïne – sacrifiant trop à ses fantaisies, pour rejoindre sa fiancée Martha– il avait confié la suite de l’expérimentation à ce Dr Konigstein et c’est Koller qui découvrit les vertus analgésiques de la cocaïne, découverte qui lui échappe donc).
Leur mine florissante : Il avait été question de deux malades, Flora et Mme L. à qui le mari avait oublié d’offrir des fleurs.
Dame aux fleurs qui l’amène à songer à la monographie de l’espèce Cyclamen, vue chez le libraire, et au fait que le Cyclamen est la fleur préférée de sa femme. Il se reproche de ne pas lui en offrir plus souvent alors qu’elle, meilleure que lui ne manque jamais de lui ramener du marché sa fleur préférée, une fleur d’artichaut. »
« Cette série botanique lui ramène deux souvenirs d’étude : l’examen de botanique à la faculté, il eut un crucifère à déterminer et ne le reconnut pas ; l’autre souvenir à partir de « plante séchée …comme dans un herbier », au lycée, le proviseur réunit les élèves pour la corvée de nettoyage d’un herbier où on avait trouvé des petits vers (Bücherwurm – vers de livre), on ne lui confie que quelques feuilles. »
« Au terme de cette chaîne botanique Freud associe un souvenir écran à partir de « tableau encarté en couleur » qui lui rappelle son goût pour les monographies et son amour pour les livres ainsi que sa dette chez le libraire à 17 ans, dette que son père lui reproche.
Puis un souvenir d’enfance :
« Mon père s’amusa un jour à abandonner à l’aînée de mes sœurs et à moi, un livre avec des images en couleurs. J’avais alors 5 ans … et le souvenir de la joie infinie avec laquelle nous arrachions les feuilles de ce livre, feuille à feuille comme s’il s’était agit d’un artichaut »
« De cette époque date sa passion pour les livres comme pour les monographies.» « Je devins un Bücherwurm » (rat de bibliothèque – littéralement vers de livre).
« La veine botanique se trouve conjointe à cet autre mot Monographie,« Non seulement, écrit Freud, la représentation composée, globale Monographie botanique mais chacun de ses éléments botanique et monographie isolés, pénètrent profondément par des associations nombreuses dans le chaos des pensées du rêve. »
Leclaire remarque que le souvenir écran du livre artichaut renvoie par le biais d’une note à l’article écrit par Freud en 1899[15] « Sur les souvenirs écrans ». L’exemple qui fait le centre de ce travail est un fragment autobiographique de Freud (D. Anzieu) à peine déguisé. Leclaire hypothèse que la chaîne botanique doit trouver là son chaînon le plus ancien.
C’est le souvenir des fleurs arrachées à Pauline :
« Je vois un morceau rectangulaire et plutôt une forte pente d’une prairie verte et épaisse ; le vert est parsemé de nombreuses de nombreuses fleurs jaunes qui sont évidemment des fleurs banales de pissenlits. Au sommet de la prairie il y a une maison ; devant la porte se tiennent deux femmes qui bavardent activement ; une paysanne avec un foulard sur la tête et une bonne d’enfant. » (NDT : Nannie.) « Trois enfants jouent sur l’herbe. L’un d’eux est moi-même, entre deux ans et deux ans et demi ; les deux autres sont mon cousin (NDT : John, en fait le neveu) qui est d’un an plus âgé et sa sœur (NDT : Pauline) qui a presque le même âge que moi. Nous cueillons des fleurs jaunes et chacun de nous tient un bouquet de fleurs déjà cueillis. La petite fille a le plus beau bouquet ; alors comme si nous nous étions mis d’accord, nous, les deux garçons, nous nous précipitons sur elle et nous lui arrachons ses fleurs. Elle court en pleurs à travers la prairie et, pour la consoler, la paysanne lui donne un gros morceau de pain bis. A peine avons-nous vu cela que nous jetons nos fleurs et nous précipitons vers la maison pour réclamer aussi du pain. On nous en donne ; la paysanne coupe la miche[16] avec un long couteau. Dans mes souvenirs, le pain à une saveur hautement délicieuse et à ce moment-là la scène s’arrête. »
« Ce souvenir des fleurs jaunes arrachées à Pauline marque sans doute un des termes ultimes de l’analyse de Freud », nous dit Leclaire. « On peut y repérer 2 ou 3 de ces carrefours dont Freud nous a dit qu’ils sont l’affleurement même du désir inconscient. »
Leclaire considère ainsi comme termes majeurs de l’inconscient freudien : « arracher » (reissen – entreissen[17]) ou sa variante botanique « cueillir » (pflücken) ;
Le mot jaune qui mène de la robe de Gisela au souvenir écran lui-même (Freud tombe amoureux de Gisela la 1ère fois qu’il retourne à Freiberg depuis l’exode familial de ces 3 ans – Freiberg où se déroule le souvenir écran des fleurs jaunes arrachées à Pauline).
Leclaire remarque que Freud ne dit rien du « jaune » comme couleur des juifs sinon par une allusion dans le rêve du Comte Thunn à une f`orme botanique de l’antisémitisme. Il pointe aussi le «jaune» couleur de l’érotisme urétral – ambition – sur lequel Freud se montre peu avare de confidences.« Freud traduit par erreur tussilage (Hufflatliich) par pissenlit –tussilage, fleur préférée des allemands. » Le jaune du pissenlit (en allemand « Lowenzahn » littéralement « dent de lion » renvoie pour Leclaire au rêve du lion jaune,[18] cité par Freud comme rêve d’un collègue, juste avant qu’il ne reprenne l’analyse du « rêve de la monographie botanique ».
Freud y ajoute un autre rêve du même collègue – Leclaire évoque la possibilité qu’il s’agisse de Feud lui-même rêve qui donne à penser que le rêveur aurait confondu dans son enfance Reissen (voyager) et Reissen (tirailler douloureusement).3
Nous voici, dit Leclaire, revenu au deuxième mot majeur « Reissen » arracher.
« Au terme de cette analyse on peut voir se détacher des mots carrefour : « botanique » « monographie », « jaune » et la série « cueillir », « arracher » avec « dévoiler »
« Les termes d’arrachement et de dévoilement », nous dit Leclaire, « semblent mener au plus près de l’énigme de l’accomplissement de désir « Wunscherfüllung » et l’expression « dévoiler un secret » pourrait en être l’un des modèles inconscients. »
« C’est ainsi qu’apparaît à l’analyse, dans sa forme la plus dépouillée un fantasme fondamental de Freud. Le désir inconscient formalisé par ce fantasme » ajoute-t-il, « n’est pas seulement un désir incestueux de posséder la mère, corps ou sein, et d’en jouir délicieusement mais à proprement parler, désir de cueillir (pflücken) d’arracher (reissen, entreissen) de dévoiler (Enthüllen) c’est-à-dire un désir réduit à sa plus essentielle dimension, un mouvement qui va au-delà, désir presque affranchi de la fascination de l’objet.
Leclaire ajoute « …l’expérience de la défoliation du livre-mère donné par le père marque un tournant : ici naît sa passion des livres. Vers elle il se tourne à 17 ans pour oublier son amour pour Gisela, elle qu’il évoquera sans succès auprès de son père pour faire accepter la note du libraire, elle qui le protègera à 19 ans de la tentation d’épouser Pauline. Mais et c’est la différence, il ne se contente pas d’être un lecteur bibliophile, collectionneur et érudit ; le livre ne sera pas figé comme objet-écran car Freud écrira un livre sur le fait du désir. Ce livre dit que c’est dans une transgression que s’accomplit le dévoilement du désir. C’est ainsi qu’il réalise son désir d’enfant qui se peut exprimer sur le modèle même de son fantasme … arracher aux rêves leurs secrets … ».
Leclaire ajoute qu’il faut encore se déprendre d’un préjugé, « celui de considérer la tension du désir sur le modèle de l’appel d’un besoin, tendu vers l’attente d’un objet propre à le combler ; le désir inconscient apparaît comme une formule surprenante par sa singularité, absurde, composite comme « botanique » « cueillir », formule, chiffre ou lettre qui visent plus à insister, à se répéter, énigmatique, qu’a se saturer, se combler ou se suturer. »
Il s’agit, nous dit-il, de renoncer « à la distinction entre une réalité cachée et véridique et une apparence trompeuse, surface directement accessible dont l’opposition contenu manifeste / contenu latent donne une interprétation restreinte. Au contraire, Leclaire fait-il remarquer, « il apparaît qu’un seul et même terme s’avère à l’analyse soutenir la vérité et son voilement.
« Jaune » « Cueillir » ou « botanique » sont autant le dérobement que l’affirmation de la singularité du désir inconscient ».
Leclaire ajoute : « Il n’y a pas de vérité au-delà du désir inconscient, la formule qui le constitue, le représente et en même temps le trahit est la vérité même du désir inconscient. Au terme de l’analyse le désir inconscient apparaît lui-même comme une construction formelle, en tant que telle dépourvue de sens mais aisément figurable : « arracher des fleurs jaunes » par exemple dans sa composition fantasmatique ou « personnage à bec d’oiseau[19] » dans sa concision hiéroglyphique. »
« On retrouve au bout de l’analyse une configuration formelle analogue à celle du rébus dont on était partis mais qui s’avère être l’essence même des pensées latentes que rien ou presque ne distingue ni dans ses termes, ni dans son ordonnance du contenu manifeste. »
Et Leclaire termine par cette affirmation « Il n’y a pas d’au-delà du texte ou mieux de la lettre »
Pour conclure
Cette lecture de Leclaire ouvre une infinité de question
Leclaire nous entrouvre la porte au « désir » de Freud, au désir des rêves mais aussi au désir de l’homme Freud, désir qui court tel un furet tout au long de son œuvre et de sa vie.
Mais Freud ne s’est-il pas approché de cette façon de penser le désir, lorsqu’il écrit ceci : « le désir du rêve est toujours un désir inconscient d’origine infantile, de cette catégorie de désirs inconscients toujours réprimés qui ne s’agitent en nous que la nuit…. désir qui ne peut en aucun cas dépasser le système inconscient » (p. 469).
Ou bien quand il se demande, à la fin de la Science des rêves:
« Les tendances inconscientes qui se révèlent dans nos rêves ne sont-elles pas les véritables puissances de notre vie psychique ? »[20]
Leclaire ne peut-il nous dire mieux ce qu’il entend par désir de Freud et désir pour Freud que ceci :
« C’est sans doute de la fascination du petit Sigismond par une image en couleurs dans un livre qu’est née la psychanalyse…..Son œuvre plus que son rêve a sans doute été, à strictement parler, la réalisation de ce désir. »[21]
Dijon, 18 octobre 2010
[1] Leclaire S. « La réalité du désir » in Ecrits pour la psychanalyse Tome 1p. 148
[2] Levy D. – Recueil des exposés « La langue du rêve » 3ème année p.153
[3] Leclaire S. – Psychanalyser p. 27
[4] Leclaire S. « La réalité de l’inconscient » 1965 in Ecrits pour la psychanalyse Tome 1 p.142
[5] Freud S. « La science des rêves » Ch. VII
[6] Nous avons commencé à travailler cette question en mai (Voir les textes dans le Recueil des exposés de 3 ème année)
[7] Leclaire S. –Rompre les charmes
[8] S. Leclaire –Rompre les charmes –Interéditions, Paris 1981 – p. 128
[9] Freud S. – L’interprétation des rêves p. 176
[10] – En1965 « La réalité du désir » où il met en question le « Wunsch » freudien à entendre dans son ambiguïté comme « désir de Freud ou désir au sens freudien ».
En 1967 « A propos d’un fantasme de Freud. Note sur la transgression» .
Et enfin en 1968 « Psychanalyser » « Avec Freud, lire Freud. Le désir inconscient »
[11] – Sources du rêve dans les impressions récentes et indifférentes de la veille. Le matériel d’origine infantile source du rêve. Le travail du rêve, condensation. Déplacement. Répression des affects.
[12] Freud S. – L’interprétation des rêves – p. 153
[13] Freud S. – Interprétation des rêves – Chapitre VII – p. 478
[14] Freud S. – Interprétation des rêves – Chapitre VI – p. 263
[15] Freud S. – Sur les souvenirs écrans – in
[16] Miche … « Laib » – Corps … Leib.
[17] « Entreissen » … arracher à .
[18] Freud S. Interprétation des rêves – p. 169 « Un médecin d’une trentaine d’années m’a raconté que depuis son enfance jusqu’à maintenant il avait souvent v apparaître dans ses rêves un lion jaune qu’il pouvait décrire avec beaucoup de précision. Il découvrit un jour le lion de ses rêves : c’était un bibelot de porcelaine (de « Meissen »
se demande Leclaire) mis de coté depuis longtemps ; sa mère lui dit alors que c’était là le jouet qu’il aimait le plus dans sa petite enfance ; Lui-même ne se rappelait pas ce détail. »
[19] Référence non citée ici au rêve de Freud de la mère morte que Leclaire reprend dans ce chapitre.
[20] Freud S. – La science des rêves p. 526
[21] Leclaire S. – La réalité du désir p.159
LE REVE ET LA LETTRE 2Le rêve de Philippe ou rêve à la Licorne
Le travail que Leclaire nous propose à partir de ce rêve, s’articule autour des mêmes exigences que celles que nous avait données à entendre Danièle Levy commentant pour nous la rêverie diurne « Craven A » qui fait l’introduction du volume « PSYCHANALYSER ». Soit, cerner au plus près ce qu’il en est de l’écoute de l’analyste dans cette « mise en acte de l’Inconscient » qu’est le transfert. Ici, comme dans l’introduction, Serge Leclaire met en scène le travail de pensée qui permet à l’analyste de déceler les articulations inconscientes du sujet, comme l’écrivait Danièle Lévy dans son texte de juin. Mais le travail sera poussé plus loin encore puisqu’il porte sur la mise en jeu dans la cure des lettres qui constituent le chiffre propre à l’inconscient de Philippe. Selon Leclaire, la lettre ou plutôt la lettre comme série de lettres, constitue le terme dernier de l’analyse d’un rêve, terme que nous n’atteignons que rarement. Sans doute y sommes nous bien souvent arrêtés par notre besoin de comprendre ou d’interposer entre nous et l’analysant la grille de la théorie analytique donnant raison à Lacan sur le fait qu’il n’y aurait de résistance que du psychanalyste . Pour ceux qui n’ont pas encore lu ce texte, je dirais quelques mots de cette cure et de l’analyse de ce rêve. Mais il me faut d’abord évoquer la place de ce texte dans l’histoire du mouvement analytique et plus précisément des avancées de Lacan et de ses élèves. Ce rêve et les lettres qui lui font suite « poor dje li » ont constitué dans le bouillonnement d’échanges analytiques suscité à partir des années 55 par l’enseignement de Lacan une sorte d’acmé mais aussi, une sorte de mythe de la geste lacanienne donnant lieu à des discussions passionnantes et passionnées. Une première version en est donnée au colloque de Bonneval où Leclaire et Laplanche proposent leur texte sur l’Inconscient, texte qui fera date et aussi prémisse des scissions à venir. Leclaire reprend son texte dans un exposé suivi d’un débat dans le séminaire de Lacan « Problèmes cruciaux ». Enfin, il en donne une version écrite dans son premier livre « Psychanalyser ». C’est là que je l’ai découvert avec saisissement tant ce texte rend compte d’une conceptualisation subtile de l’Inconscient pensé entre corps et langage et témoigne, je reprends là le titre du premier chapitre, « de quelle oreille il convient d’écouter ». Aujourd’hui donc, quarante ans après la première rencontre avec ce texte, mon propos va tenter de mettre en commun pour notre recherche sur le rêve le fruit de ce transfert de travail. Si nous avons choisi de partager avec vous la relecture effectuée à l’occasion de ce cycle, c’est parce cela va nous permettre de serrer au plus près deux points centraux : celui du rêve comme voie royale qui mène à l’Inconscient et, ce qui est presque une redondance, celui du rêve comme lieu où est chiffré le désir du sujet. Mettons donc nos pas dans ceux de Leclaire sur cette voie qui mène du récit du rêve aux lettres qui chiffrent le désir de Philippe. S’intéresser au chiffrage plus qu’au déchiffrage du rêve, Lacan y encourageait ses auditeurs dans un séminaire des années 75 auquel j’ai assisté mais dont je n’ai pu retrouver la référence exacte bien que, comme vous pouvez vous l’imaginer, cette remarque m’ait mise sur la piste d’une façon nouvelle d’aborder le rêve. Enfin, nous nous interrogerons sur ce qui vient s’écrire à l’insu du rêveur dans le silence de la nuit et l’abandon du sommeil : qu’est ce qui s’écrit ? Comment cela s’écrit-il et qui donc écrit alors que le dormeur s’est éclipsé dans le sommeil pour mieux se prêter à ses rêves ? A la première question, Freud répond : ce qui s’écrit, c’est le désir infantile inaltérable soit le sexuel. A la seconde question : cela s’écrit sous forme de rébus, et se déchiffre comme des hiéroglyphes voire des idéogrammes A la troisième, il répond par la levée de la censure que permet le sommeil et ouvrirait la porte à la manifestation chiffrée du sujet du désir quelque peu débarrassé de ses prothèses moïques comme le rêveur a enlevé pour s’abandonner au sommeil ses lunettes, sa perruque ou son dentier ….
Dominique nous avait donné à entendre comment Leclaire met en lumière dans une analyse méthodique des rêves freudiens les signifiants du désir de Freud. Nous allons maintenant nous mettre à l’écoute du rêve à la Licorne ou rêve de la soif de Philippe. Je vous propose donc d’écouter tout d’abord le texte du rêve dans sa singularité, de nous en imprégner, de laisser résonner en nous les signifiants qui s’y sont déposés, et surtout de ne pas nous précipiter à y donner quelque sens que ce soit. Emprunter la voie du rêve pour tenter de faire émerger les éléments singuliers du désir Inconscient. « La place déserte d’une petite ville, c’est insolite. Je cherche quelque chose. Apparaît pieds nus Liliane, que je ne connais pas, qui me dit : il y a longtemps que j’ai vu un sable aussi fin. Nous sommes en forêt et les arbres paraissent curieusement colorés de teintes vives et simples. Je pense qu’il y a beaucoup d’animaux dans cette forêt, et, comme je m’apprête à le dire, une licorne croise notre chemin ; et nous marchons tous les trois dans une clairière que l’on devine en contrebas. » Précédemment, vous m’avez entendue dire signifiants du désir de Freud et lettres supportant la singularité du désir de Philippe. Cela nous conduit à une première difficulté théorique concernant le rapport du signifiant à la lettre. Vous savez comme moi que les Ecrits de Lacan s’ouvrent sur le texte la «Lettre volée » où Lacan nous met d’emblée de plain pied avec ce qui fondera toute la première partie de son enseignement soit la prééminence du symbolique. A cette époque (1956) comme à celle du texte «L’Instance de la lettre », à peine postérieur (1957), Lacan ne semble pas faire de différence entre la lettre et le signifiant. Ainsi, dans ce deuxième texte trouvons nous une définition de la lettre comme « support matériel que le discours emprunte au langage » et une recommandation sur la façon d’en user en psychanalyse : « prendre la lettre à la lettre » nous rappelant aussi que dans la Science des rêves , « il ne s’agit à toutes les pages que de la lettre du discours … » mais Lacan y affirme tout aussi bien que « les images du rêve ne sont à prendre que pour leur valeur de signifiant » sans manquer d’ajouter que cela revient à prendre l’hypothèse freudienne du texte du rêve comme rébus « à la lettre ». Selon mon souvenir, Leclaire dans un film sur la psychanalyse ou une émission TV, je n’ai retenu que le rébus en forme de mot d’esprit, en avait donné une illustration aussi explicite qu’amusante : un patient rapporte un rêve qui se résume strictement à une image « la courte échelle claire », à entendre comme « Lacourte est chez Leclaire ». Plus tard, notamment dans « Lituraterre », Lacan insistera sur le fait « que le signifiant appartient à l’ordre du langage, la lettre au registre de l’écrit. » Quant à Leclaire, il nous dit privilégier le terme de lettre à celui de signifiant car la lettre s’articule au corps, au corps tel que le pense la psychanalyse, c’est à dire au corps comme corps érogène. Il y a là un enjeu capital quant à la pratique analytique : si la lettre s’articule au corps comme corps érogène, cela fait tomber tous les arguments fallacieux prétendant que la psychanalyse ne peut permettre à l’analysant d’habiter son corps ou n’est pas habilitée à prendre en charge les symptômes où le corps tient le devant de la scène. Enjeu important dans les années 70, époque de la parution de ce livre et de l’arrivée sur le marché des thérapies corporelles importées de la Côte ouest des Etats Unis mais aussi aujourd’hui où la psychanalyse est si facilement mise en question sur tous les fronts. C’est précisément l’essai de rendre compte de cette articulation paradoxale entre ce qu’il y a de plus charnel, le corps comme corps érogène, et l’abstraction de la lettre comme chiffre singulier du désir inconscient, qui nous a fait choisir de revenir sur ces textes et de les partager avec vous. Paradoxe résumé dans deux phrases que je vous cite : « le corps comme lieu d’inscription des lettres qui le font érogène » et la lettre « matérialité abstraite du corps érogène comme élément formel repérable dans sa singularité ». Ici je signale une remarque de Lacan qui attire notre attention sur le fait que « la lettre n’est pas première par rapport au signifiant » : l’érogénéisation du corps du petit d’homme et la constitution des lettres où s’inscrit la singularité de ce corps érogène est pris dans le discours de l’Autre, soit les signifiants maternels. Ainsi pour la formule magique « poor dje li » où se rassemblent les lettres du désir de Philippe, ces lettres fixées originairement comme une barre qui à la fois fixe et arrête la jouissance de l’enfant. Si nous suivons Serge Leclaire, nous pouvons penser que le poor s’est constitué à partir de la ritournelle maternelle « pauvre Philippe », li en raison de la présence vivifiante et tendre d’une Lili lors de vacances de l’enfance où convergent nombre d’associations du rêve . Prendre la lettre à la lettre c’est à quoi nous conduira l’analyse du rêve à la Licorne, analyse qui, je cite, s’articule autour du principe qui veut qu’analyser un rêve n’est rien d’autre que « repérer, dégager, une série de termes dont l’insistance manifeste qu’ils sont de l’inconscient », termes hors signification puis qu’il s’agit là « d’épuiser le réseau des significations dans la formalité d’un réseau littéral ». Ceci, je voudrais m’y arrêter un instant car il me semble que ni pour l’analysant ni pour l’analyste cela ne va de soi. Affaire de jouissance et de plaisir, jouissance imaginaire à nous en tenir à la signification, à la cocasserie ou à l’esthétique du récit ou à la familiarité du souvenir d’enfance, la mise en mots du rébus « Lacourte … » procure un plaisir proche du mot d’esprit , mais l’aridité de la lettre dans son abstraction, alors ça c’est une autre affaire ! C’est sans doute à ce prix que l’Inconscient sera touché ; que l’ Inconscient soit touché est la condition pour qu’il y ait acte psychanalytique, un acte qui donne ses chances à une vraie guérison. Ici cependant, une incidente : s’il n’y pas d’analyse, en tout cas au sens lacanien du terme, sans repérage du signifiant, leur saisie systématique à n’importe quel moment de la cure et avec toutes les structures ne relève pas forcément de la psychanalyse, peut glisser sur le patient comme l’eau sur les plumes d’un canard sans toucher d’aucune façon l’Inconscient et laisse certains analysants après des années de cure avec un corps déserté. Par manque de temps nous n’allons pas parcourir le vaste champ des associations de Philippe, je vous renvoie au texte de Leclaire, notons seulement que ces associations qui mélangent comme toute analyse de rêve, souvenirs d’enfance, évocation de symptômes, surgissement de fantasme, mouvement transférentiel, récit d’un autre rêve se condensent en une série de termes : Lili–plage – soif –peau –pied –corne qui constitueraient les véritables mots du rêve. Leclaire nommera cette série qu’il dit énigmatique, composite, hétérogène, « chaîne inconsciente », ce qui lors des différents débats autour de son texte, lui fut âprement discuté. Nous dirions plutôt préconsciente et remarquerons avec lui que les deux bouts de la chaîne écrivent la fameuse « LICORNE», monument du fantasme de Philippe et « métonymie de son désir ». La fameuse licorne n’est pas dans le texte du rêve, elle surgit, érigée sur une fontaine dans les premières associations autour de « la place déserte » sur laquelle s’ouvre le rêve, associée à un geste, celui de boire les mains en conque l’eau qui jaillit de la fontaine. Dominique nous disait tout à l’heure l’articulation de la lettre et d’un mouvement du corps, la fixation de la lettre comme enracinée dans un mouvement de plaisir. L’occasion du rêve, nous dit on, a été la soif qui le réveillera malgré l’interposition de ce rêve qui accomplit le désir de boire. Vous entendez comment tout ceci part du corps, du corps pensé comme « lieu premier où s’inscrit la trace » (je cite) ! La soif, pas seulement une soif accidentelle, occasionnelle, (il avait consommé la veille quelques mets trop salés) mais la soif comme métaphore du désir de Philippe que sur la plage de l’enfance Lili taquinait d’un « Alors Philippe j’ai soif », son petit nom en quelque sorte. La question du Nom au moins autant que celle du corps insiste dans ce travail sur le rêve et sera au centre de ce que Dany nous exposera tout à l’heure .…Mais cette soif qui aurait fomenté ce rêve, que nous dit-elle ? Elle nous dit la soif comme appel jamais renoncé à la présence maternelle, mais aussi comme inextinguible, contestation de la possibilité même de jamais l’étancher afin de maintenir l’ouverture d’un désir dont on nous précise qu’il fut très précocement comblé jusqu’à l’étouffement par une mère trop aimante. La mise à jour au fil de la libre association de cette série de signifiants ne constitue qu’une première étape de l’analyse du rêve. Va surgir alors, avouée non sans difficulté, une sorte de formule magique, énigmatique et jubilatoire, que Philippe secrètement aime à se murmurer « POOR (D) J’E LI», son nom secret en quelque sorte, terme indépassable qui constituerait son Inconscient dans sa singularité. Il est rare, nous dit Leclaire, que le travail de l’analyse nous amène jusqu’à ce chiffre Inconscient que fabriquerait plus couramment les obsessionnels que les patients d’autres structures. Je dois vous dire n’en avoir jamais recueilli ni dans ma propre cure contemporaine de la parution de ce texte ni dans celles de mes analysants. Néanmoins l’un deux, dont la névrose ne faisait pas plus de doute que celle de Philippe, m’a-t-il confié non sans réticence que certains matins au réveil dans le mouvement qui le faisait passer de l’horizontal du lit à la verticalité lui venaient des sons entre borborygmes et phonèmes bizarres, n’ayant pour lui aucun sens. Je lui ai évidemment demandé de les énoncer, mais il n’a jamais réussi à s’en saisir. A peine vraiment éveillé, la formule magique s’échappait .Nous étions à ce moment de cette cure fort difficile occupés par tant d’autres choses que je n’ai pas insisté, peut être avons nous raté là la saisie du chiffre de son Inconscient. D’une formule de ce type nous avons un exemple célèbre, celui de l’analysant de Freud, le fameux Homme aux rats, avec sa formule magique « Glejsamen », ou Gleji selon les versions, qui condense pour lui prière marmonnée, fantasmes meurtriers et vœux érotiques concernant Gisela, la dame de ses pensées, et accompagne ses masturbations compulsives. Rien dans le texte de Freud ne nous dit que cette formule ramassée où s’écrit toute l’ambivalence du désir, ait surgi dans la cure à la suite d’un rêve. Néanmoins quelques jours après cet aveu surgiront dans la cure de l’homme aux rats trois lettres WLK dont l’analyse apparaît comme une défense contre les vœux contenus dans la formule précédente. L’étude des lettres des deux formules renvoie au nom de la belle mais aussi au patronyme du patient freudien Ernst Lehrs. Je me suis étonnée que Leclaire qui connaît mieux que quiconque son Freud n’ait pas confronté la formule de son patient à celle de l’homme aux rats, mais en fait le remarquable journal de l’homme aux rats où l’on peut trouver ce travail freudien n’a été édité que six ans après « Psychanalyser ». En tout cas, ce qu’il y a de commun dans les deux formules, c’est l’inscription des lettres du patronyme, je viens de vous le dire pour le patient freudien, Leclaire nous le développe longuement pour Philippe. Si l’on pense avec Lacan que le patronyme est un des noms du Père, il est assez remarquable de noter que l’inscription de ce nom dans l’Inconscient d’un sujet participerait au chiffrage des lettres qui épellent et inscrivent la cartographie singulière du corps érogène du sujet et représentent la combinaison secrète de son désir. Je vous ai dit que le POOR était sans doute pris dans les signifiants maternels que LI renverrait à la belle Lili , il nous reste le DJ central ,ce phonème, si on en croit Leclaire, constituerait l’inscription littérale de mouvements du corps du sujet : souvenirs de culbute et de pirouette de celui qui retombe toujours sur ses pieds, mouvements jouissifs d’enroulement et de déroulement comme un enfant qui se ferait naitre, mouvements sous-tendus par des fantasmes d’autoengendremnent, en même temps qu’éclipse du sujet mimée avec tout le corps. Mais c’est également la profération de la formule littérale elle même, son nom secret en quelque sorte, qui dans la jouissance de sa répétition réalise une sorte d’annexion de sa scène primitive. Clé du désir de Philippe, cette formule donne à entendre la singularité des impasses de son désir : s’efforcer de récuser le désir de l’autre pour le maîtriser, impasse où s’engouffre le désir de l’obsessionnel c’est à dire de celui qui précocement fut l’objet de la jouissance de sa mère. Avec Leclaire, en suivant pas à pas l’analyse exhaustive de ce rêve, nous avons parcouru un chemin qui allait du désir du rêve aux impasses du désir du sujet. Au delà de ce modèle théorique remarquable, il est bien rare que dans une cure un rêve permette de parcourir un tel chemin, il est bien rare aussi aujourd’hui qu’à la manière de Freud ou de Leclaire, un rêve soit analysé de façon aussi exhaustive. Un rêve, surgi dans le transfert, ne l’oublions pas, un rêve avec sa langue et son écriture spécifique au rêve et singulière au sujet, appartient à un réseau, et le travail qu’effectue son écriture nocturne, un maillon de ce réseau où s’actualise dans le transfert le corps et la lettre du sujet en souffrance. Freud, le découvreur est celui « à qui a été révélé le secret du rêve » dans son audace à faire de l’étude minutieuse de ses propres rêves sa pierre de Rosette. A chaque praticien, de trouver à chaque moment de son écoute et dans la singularité de chaque cure la voie royale qui mène à l’Inconscient.
Monique Tricot – Octobre 2009 |