Aux éditions Erès, Jean-Yves Broudic fait paraître Les « bonnes pratiques » à l’épreuve des faits. Du désir dans le soin et le travail social.
Introduction
L’indésirable et le désir
Qu’est-ce que l’indésirable ? L’apparition de ce terme dans le monde du soin, social et médico-social date d’une vingtaine d’années quand est mise en avant par les pouvoirs publics la nécessité de lutter contre la maltraitance institutionnelle, du fait de carences
graves dans le fonctionnement de certains services et établissements. En 2002, la promulgation législative et réglementaire des droits des usagers et des patients et
l’affirmation d’une prise en charge individuelle ont été des réponses à ces scandales.
Aux yeux de l’administration aujourd’hui, l’indésirable désigne les événements qui portent atteinte à la dignité et à l’intégrité physique et psychique des personnes accueillies dans les établissements et services. Les professionnels sont invités à suivre des formations sur la bientraitance et la prévention de la maltraitance et les gestionnaires et directions sont obligés de remplir des fiches-incidents ou d’événements indésirables et de les faire remonter aux administrations en vue de la production de séries statistiques. Mais, avant notre époque, l’indésirable avait pris la forme de la relégation de certaines personnes dans des institutions spécialisées religieuses, puis dans des établissements de psychiatrie. La population des fous, des anormaux, des infirmes, des idiots, des déficients, des malades chroniques a été menacée et parfois exterminée dans des régimes totalitaires. Dans les sociétés modernes, elle a souvent été rassemblée dans des asiles à l’écart de la société, et maintenue dans une position de malades sans droits par une logique que le mouvement de la psychothérapie institutionnelle avait réussi à transformer dans différents hôpitaux.
Qu’est-ce que le désir ? On utilise ordinairement ce terme dans le sens d’aspirations, d’attentes, de souhaits, d’envies, notamment quand on demande à quelqu’un ce qu’il désire ou quand on dit que l’industrie propose aux consommateurs des produits censés répondre à leurs désirs.
Mais un sens plus profond et plus complexe émerge dès que l’on parle du désir entre deux êtres humains. Il suffit de penser à une relation amoureuse entre deux personnes pour voir que ce terme implique une part de l’humain qui lui échappe, qu’il ne peut maîtriser totalement. Ce désir implique à la fois le corps et le psychisme, il touche à la jouissance sexuelle spécifique et indescriptible, il s’articule à des fantasmes
conscients et inconscients et il renvoie potentiellement au destin d’individus qui peuvent construire une vie commune, éventuellement transmettre la vie et ainsi transcender leur mort. De plus, en matière d’amour, il ne s’agit pas tant de désirer que d’être désirable : pour qu’une histoire d’amour se noue, chacun doit être porteur d’un désir de l’autre, au sens d’être susceptible de susciter du désir chez l’autre.