Révéler l’enfance de l’art :
une injonction faite aux enfants[1]
Emmanuel Pernoud
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Partons d’une phrase de Derain dans une lettre à Vlaminck : « Je voudrais étudier des dessins de gosses. La vérité y est, sans doute[2] ». Elle résume l’enjeu considérable pris par le dessin d’enfant pour les artistes au XXe siècle. Plus encore, elle trahit l’attente des artistes à l’égard d’une enfance censée leur livrer rien moins que la vérité. Mais quelle est donc cette vérité attendue ? « À chacun sa vérité » : rien ne vérifie mieux l’adage que la pluralité des projections artistiques qui se porteront sur l’enfance tout au long du XXe siècle. L’enfance est érigée en détentrice d’un secret primordial que chacun revendique et identifie à ses propres motivations artistiques. C’est ce qu’on appelle « l’enfance de l’art », à savoir un mythe des origines de l’art concocté à partir des créations de l’enfant. J’aimerais passer en revue quelques acceptions concurrentes de ce grand mythe qui a traversé tout le XXe siècle. J’aimerais aussi montrer comment ce mythe « performatif », qui a puissamment contribué à la création artistique, s’est imaginé qu’il pouvait former l’enfance à partir des créations enfantines revues et corrigées par l’avant-garde. C’est la naissance de l’artiste pédagogue qui entreprend d’enseigner l’enfance aux enfants.
On a donc assisté à une double injonction faite aux enfants : 1° révéler aux artistes la vérité de l’art 2° valider l’usage fait par les artistes de cette vérité, en se prêtant aux applications pédagogiques des créations artistiques inspirées de l’enfance.
[1] Le texte de cette conférence utilise des passages de mes ouvrages mentionnés ci-dessous en leur apportant quelques développements :
L’Invention du dessin d’enfant en France, à l’aube des avant-gardes, Paris, Hazan, 2003 et 2015 ; « Au centre des regards » dans L’enfant dans la peinture (avec Nadeije Laneyrie-Dagen et Sébastien Allard), Paris, Citadelles & Mazenod, 2011 ; « L’Enfance de l’art. Fortune et aléas d’un mythe au XXe siècle », L’Art et l’enfant. Chefs-d’œuvre de la peinture française, cat. exp. Musée Marmottan, Paris, Musée Marmottan et éditions Hazan, 2016.
[2] André Derain, Lettres à Vlaminck, suivies de la correspondance de guerre, texte établi et présenté par Philippe Dagen, Paris, Flammarion, 1994, p. 89.
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Révéler l’enfance de l’art