Paris
Colloque du Cercle freudien
Folies du monde, mondes de la folie
28 mars 2025 @ 21 h 00 min - 23 h 00 min
Folies du monde, mondes de la folie
Folie n’est pas un concept, dans aucune discipline de pensée, mais ce qui fait ombre portée à toute raison. Dire folie c’est indiquer ce qui excède une normalité ou une rationalité et en dérange l’ordonnancement. D’où son ambivalence foncière : il n’en faudrait pas, du moins totale, il en faudrait peut-être quand même, au moins un grain.
Évoquer un monde, c’est évoquer un lien social qui outrepasse l’individu. Ce monde peut s’entendre comme une certaine réalité de fait imposant sa logique ou comme la possibilité pour un sujet de faire valoir son être au monde.
Sur l’un ou l’autre versant, un monde fou est ce qui interpelle la raison qui voudrait le structurer et contraint à en répondre sans en ignorer l’excédence, que celle-ci soit mortifère ou dansante en puissance de vitalité et de créations.
La pratique analytique, en cabinet ou en institution, part de la réalité psychique de chaque sujet et à ce titre a d’abord affaire au « monde de la folie », aux logiques a-normales dont se soutiennent ceux qui manquent à se tenir selon la loi commune. On peut alors conceptualiser la folie comme psychose ou autres noms. Mais on peut aussi suspendre le jugement de réalité sur l’être-autre et engager le psychanalyste dans une certaine « folie transférentielle », au nom de ce que l’inconscient au revers de la conscience emporte comme tel d’une certaine folie.
Reste qu’un réel du monde dit « extérieur » insiste au-delà de ses représentations singulières et fait le contexte où la psychanalyse s’exerce, dans son actualité. Ce monde d’où nous venons et qui nous vient, peut être dit fou lui-même, ce que l’analyste comme l’analysant ne peuvent ignorer. De quelles folies du monde sommes-nous l’enjeu ? Et comment penser cette intime intrication entre deux folies, hétérogènes dans leur énonciation, de façon singulière ? C’est le sens de cette virgule dans le titre de ce colloque et qui vaut comme question.
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Vendredi soir
Projection – débat du film La machine à écrire et autres sources de tracas de Nicolas PHILIBERT avec la présence de Nicolas PHILIBERT et Linda ZITTER.
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Samedi matin: 1ère séquence
Désubjectivation et Kulturarbeit
L’actuel du néolibéralisme, l’expansion illimitée du discours capitaliste, nous confrontent à une attaque des processus de subjectivation. Ce qui peut se traduire fréquemment dans la clinique par un émoussement du désir, une a/pathie, témoignant des processus de déliaison. L’éclosion d’une crise de folie peut parfois être entendue comme une tentative d’objecter une « juste protestation », qui court alors le risque d’une psychiatrisation au sein de structures de soin et d’équipes elles-mêmes en souffrance aujourd’hui. Nous avons à entendre ces zones de silenciation ou d’affolement dans les cures, mais aussi à relancer le travail de Culture. A l’inverse de cette perspective nous avons aussi à prendre acte du déchainement d’une folie de la norme et de la médicalisation de l’existence. Confrontés à cette aliénation sociale désubjectivante, nous avons à reconstruire un espace imaginaire investi d’un désir inconscient, pouvant alors ouvrir un horizon d’attente pour le sujet en souffrance.
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Samedi après-midi: 2éme séquence
De quoi l’autisme est-il le non?
D’un côté, malgré les « recommandations » négatives de la HAS, nous avons comme psychanalyste une pratique clinique, surtout au sein d’institutions, avec des patients dits « autistes », enfants le plus souvent mais aussi adultes. A quoi disent « non » ces sujets en grande souffrance que nous accueillons un par un et qui bénéficient encore d’une écoute analytique de ce qui insiste sous formes de boucles répétitives et de retrait ?
D’un autre côté, « autisme » est une invention catégorielle à la suite du néologisme inventé par Bleuler en 1907 qui a pris une ampleur démesurée dans le champ de la « santé mentale », jusqu’à l’indéfinie définition actuelle du « spectre autistique » s’étendant à quiconque manquerait à « communiquer » comme il convient. Cette extension du dit « autisme » interroge ce nom d’autisme comme phénomène sociétal, peut-être par exemple comme retour dans le réel de ce que le discours capitaliste induit comme impératif de
« communication »: circulez, y’a rien à entendre.
Comment ces « mêmes pas fous » nous parlent d’eux singulièrement et du monde collectivement, depuis leur « mutisme-bas-niveau » ou leur « génialité-haut-niveau ? Ne sont-ils pas-fous de trop de raison folle ?
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Dimanche matin: 3ème séquence
Trauma et mémoire du corps
L’irruption du réel, si elle ne se constitue pas, à chaque fois, comme trauma, laisse cependant des traces dont le lieu de recel n’est pas toujours psychique. Ce lieu énigmatique peut être le corps du sujet, bien avant même que celui-ci ne dispose du langage à l’aide duquel la psychanalyse tente de symboliser ce réel. Comment un travail analytique peut-il alors relever le défi de mettre des mots sur ces traces voire sur ces « pas de traces » pour en rendre les manifestations moins pathogènes?
Outre que la psychanalyse semble s’être fondée sur ce qui a pu être pointé comme un « effacement du trauma » et en être affectée, la période actuelle que traverse l’humanité voit les situations propres à causer de telles traces, se multiplier, alors que l’offre de soins psychiques semble avoir exclu le recours à l’écoute analytique.
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Dimanche après-midi: 4ème séquence
Une psychanalyse, quelle folie…! ?
Quand l’inconscient est au rendez-vous, l’espace de transfert qui se crée entre l’analysant et l’analyste, tous deux entamés par ce qui survient, permet au premier d’aborder les moments d’angoisse, les failles de son être et les zones de réel et de folie qui constituent des points aveugles de son destin.
Il faut recourir à la parole pour aborder le réel qui n’a pas été traité dans le champ du langage et miser sur ses potentialités pour aborder les espaces – temps où elle a le plus manqué.
Comment peut-on alors entendre la phrase de Lacan en 1978 : « …que chaque psychanalyste soit forcé…de réinventer la psychanalyse » ? Le tour de folie de l’acte analytique ne consiste-t-il pas à tenter de se situer entre répétition et invention pour s’inscrire dans un mouvement de création ?
C’est sans doute à cette condition que la psychanalyse restera vivante et que d’autres encore pourront s’inscrire dans son sillage.
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