Forum du 26 janvier à Reims

Notes prises par Danièle Lévy

FORUM DE LA CRIEE – REIMS 26 JANVIER 2009

Des énonciations qui donnent à penser

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Petites phrases glanées au fil des interventions et des discussions
Sans nom d’auteurs pour mettre en valeur le jaillissement de pensées convergentes
Et de questions.
Les auteurs, j’espère, se reconnaîtront.
Pardon à ceux dont j’ai déformé l’expression ou la pensée.
Parfois, l’attention laissait la plume en l’air.
Pardon à ceux dont je n’ai rien transcrit.

Ouverture
Le grand salon de l’Hôtel de ville de Reims est plein (plus de 350 personnes).
Madame Wojnarowski, adjointe au maire chargée des questions de santé, apporte son soutien : « S’opposer à la mise au pas de toutes les pratiques cliniques ».
« Enfermer au lieu de soigner et d’aider ».

Table ronde 1 : L’enseignement de la clinique

Contre le formatage unidimensionnel des études de psychologie, l’hétérogénéité
La maladie mentale  réduite à ses causes et considérée uniquement comme « trouble ».
Une prise en charge exclusivement technique : pharmacologie + TCC
Si le malade est considéré comme dangereux, criminalisation
Résister en tant que :     – praticiens – enseignants – citoyens

Droit à une vie décente pour les personnes en souffrance, des centaines de milliers de personnes, pour la plupart pas dangereuses. Souffrance psychique ne veut pas dire folie meurtrière.
Nous avons à combattre un tissu d’idées reçues.

Quels enseignements pour quelle psychiatrie ? Celle du Secteur est menacée.
La formation doit préparer à l’activité : d’abord percevoir et comprendre la souffrance psychique

La clinique :  – une connaissance issue d’une expérience
– fait apparaître l’existence de théories implicites, impensées
– pour quel intérêt ?
Le discours de la science voudrait bien se passer de la clinique.
Le diagnostic implique un jugement et un agir.
L’acte thérapeutique engage la personne qui le pose.

« C’est la norme » fonctionne sur l’intimidation et produit l’inhibition
La norme rompt la vérité et rend la véracité inutile
L’homogénéité, définie par la conformité à la norme, exclut du soin la dimension de l’acte.

La pensée unique n’a jamais pu générer un enseignement de qualité.
L’enseignement de la psychopathologie se réduit à
– l’illusion biochimique. La biochimie ne suffit pas à elle seule à éclairer la psychopathologie
– l’illusion cognitive : des thérapies élaborées à partir de modèles des comportements humains. Résultats : votre avenir est celui que les brochures prédisent
À l’opposé, nos maîtres en clinique nous ont appris à « entendre autrement le discours des patients ». Cette clinique est indispensable, même aux comportementalistes et cognitivistes.
Bachelard : « un homme qui raisonne et avec qui je peux discuter me prend pour un homme. Celui qui me dit : voilà un fait me prend pour un esclave. »

Il y a une spécificité de la psychiatrie dans le champ de la médecine. L’enseignement médical est en contradiction avec la fonction.
L’hétérogénéité est nécessaire parce que les faits sont complexes – c’est bien autre chose que compliqué.
Le patient qui ne sent pas entendu ne s’engage pas dans un processus thérapeutique.
Poids de l’histoire, répercussions de la grande histoire sur l’histoire singulière.

Une moitié des mastères 2 en psychopathologie est d’orientation analytique, l’autre neurocognitive. Pourquoi ce clivage ? Deux discours opposés.
Contradictoires ?
Les projets de recherche d’inspiration analytique sont tous disqualifiés si pas évaluables, randomisés, etc.
Ce ne sont pas des abords scientifiques différents mais des anthropologies différentes.
On ne peut pas faire sans la clinique. Si elle n’est pas enseignée, comment se transmet-elle ? Dans les stages ?

L’hétérogénéité  des enseignements existait avant la pétition.
Soutenir la singularité dans la clinique, c’est un projet politique.


Table ronde 2. L’hétérogénéité de la clinique

L’ennui est toujours lié à la monoculture.
Un mètre étalon sans possibilité d’écart. Lorsque les cellules travaillent toutes dans le même sens, le résultat est une crise d’épilepsie.

Une institution décentrée, chemin vers l’ouvert.
On y parle plutôt de pratique que de clinique.
Y travaillent des personnes concernées par la psychiatrie. La rencontre avec la folie a quelque chose de terrifiant. Défaillance.
Être à l’écoute. Se déprendre de la tendance assistancielle, tout ce qui est « pour ton bien ».
La parole de chacun l’engage. Une personne, une voix.
Flux et reflux : élasticité de la relation avec le social. Remise en question permanente, suite au travail théorico-pratique.
Exemple : Des ateliers d’art animés par des artistes. Longs débats pour le choix d’un logo.
Jean Oury : « C’est en marchant qu’on fait son chemin ».

Un artisanat avec formation permanente. Le désir est engagé. L’organisation  de l’institution se fait au jour le jour.
Accueil = comment faire émerger la parole en souffrance ?
La clinique est partagée, pluridisciplinaire. Clinique du trauma – élaboration interactive – respect. Menacée par une clinique de l’ici et maintenant mesurable.
Comment faire ? on pressent une idéologie pas facile à repérer. Vocabulaire pseudo-éthique, par exemple « qualité ». Fétichisation. Manœuvres. Quelque chose est éjecté. Réduction, déni. Déni de leur propre fondement.  Réduction des moyens et désubjectivation. Les politiques retournent les arguments.
Effet : sentiment d’impuissance et angoisse. On est mis devant le fait accompli, avec refus de discussion.
Que faire ? Cf. « Pas de zéro de conduite » ou la position prise par les historiens contre l’annonce d’une « Maison de l’histoire de France ». Cf. aussi  la « micropolitique », voir plus loin.

« L’histoire est toujours et partout la cible première des dictatures » (Arendt)

Approche réductrice du sens – temps de réflexion supprimé et rendu difficile – confusion des repères théoriques – repli identitaire.
Reproche : pourquoi tant de personnes mobilisées pour traiter si peu de patients ?
Réponse : liens – travail du sens – créativité – formation des praticiens.
Un autre abord de la violence.

Être traversé par l’hétérogène. Une langue usée. Transmission orale des savoir-faire de la réanimation psychique.
Le comptage détruit ce que nous faisons.

Table ronde 3. Politique du sujet

Le protocole prend la place du cadre. Le cadre ouvrait un espace de liberté.
Objectifs présentés de telle manière qu’on ne peut pas être contre.
Vous êtes dans les clous, bonus. Hors des clous, contraintes : peur, hiérarchie, exclusion.
Si je ne suis pas respecté en tant que sujet citoyen, je ne peux pas faire mon métier de soignant.
Tout le pouvoir à l’administration. La HAS (haute autorité en santé) n’a aucun contre-pouvoir.

L’administration décide subitement de fermer un secteur sur sept.
La réorganisation technocratique : trois lieux de prise en charge
– « 72 heures »,
– hospitalisation d’office,
– ambulatoire.
Disparition de la politique de secteur.
Plus de médecins autonomes. Vidables, salaires indexés sur « l’efficacité ».
La mobilisation générale sur deux semaines a entraîné un recul de l’administration.
Micro politique : la pratique de la psychothérapie institutionnelle n’est pas acceptée.
« Files actives » : des milliers de patients sont re-dispatchés. C’est un bouleversement dangereux pour ces patients. Arnaud, schizophrène meurtrier. À son arrivée : il « avait rendu service à l’humanité ». « Elle lui en avait trop fait ». L’internement : « trop cher payé pour un petit meurtre de rien du tout. »
Un an et demi après, il pleure : « Comment ai-je pu faire une chose pareille ? » Un travail s’est fait. Il s’était engagé dans le fonctionnement institutionnel, avait entendu parler de questions comme « la mort au fondement de la vie », découvert le nous.

À son arrivée, pressions administratives pour son placement en UMP (anciens services de force). Le préfet prétendait appliquer sans délai les lubies du président. Il ignorait la loi. Nous avons fait jouer la loi et réussi à ce qu’il reste dans le service.
Ils ignorent la loi.

Il n’y aurait plus d’idéologie. Le nouveau discours collerait au réel. Idéologie : représentation imaginaire du fonctionnement social.
On est intéressant si on produit des richesses, ou si on est consommateur. Donc, 80% des humains seront en surnuméraire à un moment ou à un autre. Masse ingouvernable.
Solutions : – un cocktail de divertissements abrutissants, télé réalité dans le monde entier. Le divertissement n’est pas idéologique puisqu’il n’y a plus d’idéologie. Pas non plus de possibilité de combat d’une idéologie contre une autre. Mais attaques violentes contre tout autre système.
Autre ingrédient : le sécuritaire, qui enfle avec la crise.
Impératif : sortir la psychanalyse des enseignements aux soignants. Car elle soutient que le sujet n’est pas seulement un être social, mais aussi singulier.

Sujet, certes, mais sujet de l’inconscient ?
Politique : faire tenir ensemble les sociétés humaines. Sans la politique, elles ne tiennent pas ensemble, pas comme les sociétés animales.
L’inconscient oeuvre dans l’ombre. Hors de l’ombre, il est ennemi.
Le sujet : hors du compte, pas seulement un élément d’une communauté.
Placement sous contrainte : justifié pour le patient qui ne sait pas encore qu’il lui est arrivé une catastrophe. Il est dans un maelström. Besoin d’un manteau, d’une enveloppe protectrice. C’est la fonction de l’hospitalisation.
Elle est irréalisable si l’hospitalisation fonctionne suivant les principes de la gestion, comme une machine qui tourne toute seule.
« La part des sans part ».

Les familles s’opposent au démantèlement de la psychiatrie. La continuité des soins est nécessaire et elles ont besoin de l’alliance thérapeutique.
Exiger qu’il y ait au moins une prise en charge globale, tenant compte du contexte dans sa globalité. Groupes de parole, ateliers d’entraide.
Déni du sujet : les procédures réduisent d’autant le temps du contact.
Traitements : échecs ou réussites, mais la ghettoïsation est ce qu’il y a de pire, le grand renfermement.
L’essentiel est une relation personnalisée. Non pas bienveillance, mais veillance.
Un être humain ne peut pas être réduit à un ensemble de fonctions psychologiques.

Travailler avec le transfert. S’il n’est pas nommé, il n’est pas travaillé, impossible de le limiter.
Travailler avec son désir. Ça autorise, au-delà de l’habituel «  être empêché de… ».
En psychiatrie, on est confronté à de l’angoisse, de la destruction, le terrible risque de la mort du sujet.
Soin : d’abord être avec, faire avec. La relation permet de travailler.
L’élaboration clinique peut se faire en divers lieux. La pluralité est vitale.
Pour ces patients, des portes fermées, un logement, de la relation. De la mutualisation. Ce n’est pas juste occupationnel.
La folie stigmatisée, nos méthodes refusées : retour de la destruction

Le secteur de la psychothérapie institutionnelle est le premier visé. Enjeux symboliques forts.
Il existe des courants opposés en psychiatrie. Ce sont des psychiatres qui ont fait les propositions aujourd’hui annoncées, grossies.


Table ronde 4. Au-delà du statut professionnel
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Les patients sont nos enseignants.
L’engagement du psychiatre.
D’où viennent les tensions et les violences ?
Attaques symboliques fortes contre le statut professionnel des psychiatres cliniciens.
Perversion du rapport au langage et à la parole.
Des règlements qui se font passer pour la loi.
Retour à des pratiques sourdes au sens des symptômes.
La violence des passions est proportionnelle à la surdité des hiérarchies. Surtout en intra-hospitalier.
Objectif : occupation des lits à 100%. Moyen : surbooking, comme pour les avions.
Ceci n’est pas correct et provoque violence, fureur, augmentation des durées d’hospitalisation. Il faut garder la place de celui qui s’en va.
L’écoute des patients implique le long terme et les chemins de traverse.

Conditions de la rencontre thérapeutique : la psychanalyse et la psychothérapie institutionnelle sont indispensables. Le plus important, ce sont les échanges humains. Ils supposent un certain état d’esprit qui ne se commande pas : le désir seul peut franchir les obstacles.
Georges Devereux : « L’analyse du contre-transfert est productrice de connaissances ».

J’essaie de travailler sans avoir honte de ce que je fais.
Anthropologie aristotélicienne : l’homme est un animal malade.
Face à la complexité, on a la pensée unique. Mais on est parfois face au vide. Alors, on s’agrippe à la pensée unique, dût-on en être asphyxié.
Le principal adversaire, c’est nous-même dans notre capacité à accepter la servitude volontaire – d’être enfermés dans des rôles strictement délimités.
Les soignants sont au service du public, pas au service de l’Etat.


Table ronde 5. Vers les Etats généraux de la clinique
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Une radicalité s’élève, qui n’était pas là il y a quelques mois.
Depuis 15 ans, un vent mauvais : déconsidération de la parole. Par exemple : les synthèses ne sont pas comptées comme des actes. Pour faire des groupes de parole, il faut les associations de malades ou des familles.
Un ordre impeccable est-il compatible avec l’ordre pulsionnel ?
La psychanalyse : un autre regard sur la folie. Le délire tentative de guérison : innovation de Freud inouïe. Comparer avec « déficit ».
Nous faisons passer le savoir du côté du patient, nous lui faisons confiance pour qu’il se réapproprie ce qu’il sait déjà.

Des étapes sont franchies rapidement.
« Sauvons la clinique » : mais laquelle ?
Rétention de sûreté – principe de précaution – : c’est une rupture dans le droit, un bouleversement du monde.
Les crimes : répondre seulement qu’ils sont très peu nombreux, c’est régressif.
La folie concerne la culture, elle l’interroge. Le crime interroge les limites de notre vivre ensemble.
Accueillir ceux qui franchissent une frontière qui est franchie au fondement.
Nous sommes tous des schizophrènes dangereux.
L’article 64 disait : malades ou responsables. Aujourd’hui : malades et responsables. Même, jouissance du mal (pédophiles).
– 1998 : l’injonction de soin. Une obligation juridique qui ne devrait pas être, mais la loi est passée. Incitation n’est pas contrainte juridique. La contrainte veut dire que l’engagement n’est pas personnel. La responsabilité passe au médecin.
– La loi d’enfermement, inspirée du rapport Balier (grand psychanalyste qui s’est occupé de la thérapie de criminels emprisonnés).
Rupture dans le droit : « Le savoir psychiatrique prévenant par sanction des choses qui n’ont pas eu lieu ». (R. Badinter)
Dans la logique asilaire, on savait la vie des gens. Le savoir était en position de commandement.
Méfait du savoir qu’on a dans la poche avant la rencontre.

L’Appel des appels : trois pages dont la Une dans Libération de vendredi 23 janvier. (Aujourd’hui 1er février, 58 000 signatures).
« Des conséquences sociales désastreuses » : causes du désastre ? Idéologie de l’homme économique : le capital.
Le sécuritaire : des « moi » formatés, des victimes ou des coupables, mais pas des sujets.

Notre vision anthropologique : défense et promotion du sujet. Sans aucune concession. Ce n’est pas un chemin aisé. Il a quelque chose de scandaleux. Les autres professionnels seraient-ils d’accord ?
« Nier la folie, c’est nier la vie » (Elie Winter)
L’évaluation peut-elle améliorer ?
Toutes ces disciplines mettent-elles le savoir à la même place ? Sinon, mariage de la carpe et du lapin, le lapin muet, la carpe insaisissable.
Quelle plate-forme commune ? Les Etats généraux de la clinique. La clinique est liée au politique, mais n’implique pas une vision unique.
Ce que nous savons cliniquement ferait scandale si on l’affirmait publiquement.
Nouveau symptôme : l’homme économique veut ce que veulent les médias et les sondages.
Ce monde-là ne veut plus qu’on traite la psychose.
Il faut nous attendre au même genre d’accueil qu’a reçu Freud à son époque.
La prise en charge de la psychose peut seule garantir la psychanalyse contre ses déviations.

Première réaction à la lecture du discours du 2 décembre : sentiment d’étrangeté.
Puis, colère, honte, culpabilité, malaise profond. Comment travailler après cela ? Le soignant est touché intimement, dans son être. Un point de rupture. Pas de retour en arrière. Comment en est-on arrivés là ?
Deux ans d’enquête d’un journaliste du Monde sur les recherches en cours dans les multinationales et chez leurs sous-traitants. Résultat : dans le monde entier les budgets de recherche sont centrés sur la sécurité. Aux Etats d’écouler tout ça. « Combien avez-vous de chambres d’isolement ? »

Que devient le savoir ? Un carcan qui nous déresponsabilise personnellement,  mais persécute et immobilise.
Nous sommes dans un moment décisif, crucial.
Montrer notre force.
Ça va être dur.

Notes prises par Danièle Lévy. Elles sont moins riches vers la fin …