Le Cauchemar, un rêve à l’envers ?
Dany Cretin-Maitenaz
La cure analytique d’une petite fille de deux ans, conduite par Winnicott de 1964 à 1966 nous donne un témoignage clinique rare et précieux d’un travail d’analyse d’une enfant de cet âge. L’écriture de ce travail rend compte séance par séance de l’évolution, de l’intensité de la présence de la jeune patiente et de la place du thérapeute qui aide à la naissance de sa parole.
Il existe des comptes-rendus d’analyses d’enfants mais peu d’enfants si précoces, et rares sont les documents qui relatent mot à mot le contenu des séances. Il témoigne de ce qui se joue dans l’espace d’une consultation psychanalytique :la façon dont cette jeune enfant se situe, et comment Winnicott d’une manière sidérante encadre , porte la parole de sa jeune patiente et l’amène au-delà de qu’elle ne peut dire dés la 2éme séance. Les séances sont espacées de deux mois tout d’abord, puis de quatre à six mois ensuite jusqu’à la fin. La cure démarre sur la demande de la mère. Comment Gabrielle prénom de cette petite fille, se saisit de l’espace de la consultation pour faire surgir sa propre demande, en déplaçant la demande de sa mère, constitue un morceau d’anthologie analytique !
Winnicott impose à ces consultations de psychanalyse un rythme particulier et original : il donne des rendez-vous à chaque demande de la mère, puis des parents selon l’évolution de sa jeune patiente au fur et à mesure des séances. Le style de cette cure suit le sillage des pulsions et respecte le temps de perlarboration nécessaire après chaque rencontre. Ce temps d’après séance, inclus dans l’espace analytique confère une longueur inhabituelle aux rencontres ainsi qu’un effet de « ramonage »radical de la parole.
La liberté de parole de Gabrielle et son intelligence de la cure, apporte à ce document une valeur sans précédent dans l’histoire de la psychanalyse. Entre les séances, les parents écrivaient à Winnicott pour témoigner des progrès de la psychanalyse de leur fille et des effets de la séance sur son symptôme, mais également sur sa vie au sein de la famille. Le symptôme était constitué de terreurs nocturnes et de cauchemars.
Par bien des côtés, ces séances ne sont pas sans rappeler les consultations dans le cadre de la P M I, avec un médecin et un psychanalyste. La place que Gabrielle occupe dés la première consultation évoque celle des enfants que nous recevons dans nos consultations de P.M.I. La communication est établie avec l’enfant une fois les présentations faites du médecin et du psychanalyste. Celui-ci se dégage très rapidement du discours parental ou maternel, dés que nous lui demandons ce qu’il pense de ce qui se dit à son propos, ou que nous nous adressons à lui, en lui donnant sa place d’interlocuteur du discours, même si l’enfant ne parle pas. Je me souviens d’un bébé de 9 mois environ qui me montrait une scène, en frottant ses 2 mains de telle façon que l’une frottait l’autre comme pour chasser quelque chose, alors que la mère nous témoignait de sa difficulté de s’en séparer la nuit qu’elle pensait être celle de son garçon : « l’infans » communique en s’adressant à l’autre, créant de l’altérité, avec son langage.
Dès la première consultation, Gabrielle, est à son affaire, et bien qu’elle ait annoncé d’emblée qu’elle était timide avant de rentrer en séance, elle n’en donne aucune preuve par ailleurs. En dix minutes, elle situe son problème : il y a un autre bébé ! Elle commence en disant un…et elle nomme le jouet, et elle dit un autre…, puis un autre… Winnicott saisit le signifiant « autre », en lui disant : un autre bébé ! En dix minutes, c’était posé.
La fraîcheur de ton et l’allure très dynamique du début continue tout au long de la cure, cette enfant était pressée : d’être entendue mais également par autre chose : comme prise par une urgence terrorisante qui l’attaquait, sans qu’elle puisse le réaliser. Dans les consultations de P M I, on a affaire à des enfants « pressés» : C’est une caractéristique de ce type de consultation où le tempo et la dynamique sont immédiats. La proximité du réel, c’est à dire la proximité de quelque chose d’extrêmement menaçant dans la constitution psychique de l’enfant imprime ce tempo particulièrement dense à certaines consultations psychanalytiques en P.M.I.
Ce caractère pressé donne une allure complètement étrangère qui contraste avec les entretiens préliminaires de prises en charge de psychothérapies d’adultes ou d’enfants plus grands, un peu comme une découpe hors du temps réel. Les phrases sont celles de tous les jours, la rencontre avec les parents et nous-mêmes est ordinaire et soudain, alors qu’une mère par exemple, se plaint de l’attitude infernale de son jeune garçon, la présence d’un cadet nouveau-né évoqué presque par hasard dans son discours, donne la mesure du ravage de ce garçon de 3ans par ailleurs très investi par ses parents qui sont complètement désorienté par cet enfant. En 15 minutes, le problème était parlé avec ce garçon qui a immédiatement saisi et repris sa place d’aîné , posé, en articulant l’incompréhension de la naissance d’un 2ème enfant puisqu’il était là !Il ne comprenait pas ce que son cadet pouvait apporter de plus à ses parents ! Son bouleversement narcissique avait été complètement sous estimé surtout par la mère qui s’obstinait à ne pas comprendre l’enjeu vital de son enfant chéri !
Ces dynamiques, ainsi que le caractère d’aller droit au but de ce qui agite certains enfants venus en consultation de P M I, apporte à ces rencontres une allure particulière. Ils viennent pour affronter d’emblée le problème. Winnicott dira : « Gabrielle avait l’air sérieuse et il m’apparut évident, dès qu’elle avait passé la porte, qu’elle était venue pour travailler. » C’est étonnant de dire cela pour une petite fille de deux ans et quatre mois. C’est quand même ce qui lui est venu sous sa plume. Je reprendrai plus tard la relation du symptôme et du langage, dans le cadre de ces consultations, dans le rapport au réel.
Durant la première consultation, Winnicott demande à la mère de ne pas aider son enfant, indication qui ressemble beaucoup à celle énoncée dans les consultations de P M I. L’enfant est laissé libre d’organiser son espace, dans un rapport à la parole et à son corps, dans un pur jeu de désir.
Cette cure d’une petite fille de deux ans démarre autour des cauchemars et des terreurs nocturnes qui signent, selon la mère, la modification profonde du caractère et des comportements de son enfant. Winnicott, lors de la première séance, interprètera le cauchemar comme un rêve qui fait peur, et nous verrons que Gabrielle lui répond que c’est à cause du « babacar ». Le babacar, contraction de « baby carridge », ne parle pas de voiture d’enfant. C’est un néologisme inventé par Gabrielle, traité par le psychanalyste comme un personnage réel ; cette prise en compte accrédite sa réalité intérieure. Tout le jeu du psychanalyste consiste à donner force à ce rêve qui fait peur, en développant l ‘espace du jeu qui ne fait plus peur !
Il prend le mot babacar comme ça : il ne lui demande pas ce que cela veut dire, ni ce que cela signifie. Il prend le mot comme tel, il l’utilise comme un personnage présent dans la cure. Je pourrais dire qu’il s’appuie sur le réel de ce qu’elle amène, sans l’interroger comme mot, sans savoir ce que cela veut dire, et il s’embarque avec ça. Il le laisse travailler dans le filet de l’association libre faisant surgir des représentations autour du « noir : maman noire ; bébé noir » etc.
Lors de la réunion préparatoire à ce travail d’aujourd’hui, nous nous étions demandés quel statut avait le babacar ou la maman noire, ou le papa noir, qui constituent l’essentiel des terreurs nocturnes de Gabrielle. S’agissait-il de « fantaisies nocturnes », comme l’appelle la mère de cette enfant ? S’agissait-il de cauchemars, comme moi je l’avais personnellement entendu ? S’agissait-il de terreurs nocturnes ? Ou bien s’agissait-il de points informels, accompagnés de visions hallucinatoires avant la constitution de la scène du rêve ?
Lorsque la mère témoignait dans ses lettres des cauchemars de sa fille, elle rendait compte du phénomène comme une irruption ou une effraction, imprévisible, bouleversant Gabrielle qui ne pouvait rien dire de plus que :babacar ..babacar… babacar .
Dans l’interprétation des rêves, Freud aborde la question des rêves d’angoisse, qu’il rapproche des rêves-châtiment, dont il écrit en substance que ce sont soit des rêves qui réalisent un désir refoulé très puissant et une satisfaction interdite, provoquant la punition ou le châtiment, soit que le rêve réalise un désir inconscient de châtiment, à la place même du désir refoulé, qui ne peut être que déduit du rêve..
Par contre, une autre forme de rêves met déjà Freud à l’épreuve en 1900 : ce sont les rêves où les affects de déplaisir, dit-il, apparaissent dans toute leur ampleur, sans qu’il soit vraiment question d’un châtiment dans le rêve. Plus la part des sentiments pénibles dans les pensées du rêve sera intense, écrit-il, plus les désirs les plus fortement réprimés seront représentés. La question qu’il se pose : pourquoi ce sont les affects de déplaisir qui sont représentés, et non pas ceux de l’accomplissement d’un désir et sa satisfaction.
Dans : « Au-delà du principe de plaisir » Freud aborde la question des rêves traumatiques en concluant : ces rêves touchent au problème du cauchemar qui, dit-il, représente un cas limite. Les affects de déplaisir échappant au destin des représentations et du principe de plaisir, nous n’étions plus tout à fait dans la scène du rêve à proprement parler. Le cauchemar l’interrogeait déjà, ce n’était pas tout à fait un « cas limite », ni tout à fait un rêve : on ne pouvait pas se soutenir de ces rêves-châtiments, ni non plus se soutenir de ces rêves qu’il appelle les rêves d’angoisse.
Monique Tricot : Est-ce que tu crois que ce n’est pas tout à fait un rêve dans le sens que cela n’entre pas dans ce qui pour Freud fait partie de la scène du rêve, c’est à dire réalisation d’un désir inconscient ? Est ce que le départage passe autour de : c’est un rêve si c’est de l’ordre de la réalisation d’un désir inconscient, et quand ce n’est plus la réalisation d’un désir inconscient, on n’est plus dans la scène du rêve ?
Dany Cretin Maitenaz : Le cas limite, c’est la réponse.
Monique Tricot : C’est limite à quoi ?
Dany Cretin Maitenaz : Freud insiste sur les affects de déplaisir, donc c’est limite au plaisir, mais peut-être pas au désir.
Monique Tricot : C’est à dire qu’à la place du registre du plaisir, on serait dans celui de la jouissance.
Dany Cretin Maitenaz : FREUD traite à part les cauchemars, dans sa construction de la science des rêves alors qu’il y inclut les rêves de châtiment et les rêves d’angoisse.
Monique Tricot : Quelque part lui il fait passer la limite autour de la question du travail de la censure. Il dit que le travail de la censure vise, entre autres, à éviter le développement d’angoisses ou d’affects pénibles, et que dans le cauchemar le travail de la censure est mis à mal.
Dany Cretin Maitenaz : Oui, c’est cela. Mais ce n’est pas seulement mis à mal au sens où par exemple, dans les rêves de châtiment, c’est repris comme accomplissement d’un désir, puisque vous avez un désir refoulé, l’accomplissement du désir, c’est que vous soyez puni. Dans cet exemple de tels rêves, on est dans la logique où la censure travaille à construire et à maintenir la scène du rêve.
Il semble qu’il y ait dans le cauchemar un autre cas de figure, c’est que ces déplaisirs tiennent quelque chose qui, j’allais dire, s’inscrivent de l’autre côté de la scène du rêve. Je dirais que c’est le rêve à l’envers, quelque chose de l’envers de la scène. En tous les cas cela met à mal la représentation, et il est clair que cela met à mal la scène du rêve. Et dans le cas du cauchemar, le rêve conçu comme gardien du sommeil, est débouté de cette place.
Je pense que cette question là trouve son issue dans le chapitre sur la pulsion de mort avec les rêves traumatiques.
Monique Tricot : Qui sont autre chose que le cauchemar. Même s’ils en ont parfois la forme.
Dany Cretin Maitenaz : Tout a fait.
Dans « Les Cinq psychanalyses », Freud reprend un rêve d’un patient célèbre appelé « l’homme aux loups », rêve que ce patient fit à l’âge de quatre ans. Il aborde ce rêve comme le démarrage et l’entrée dans la névrose obsessionnelle infantile de son patient. On notera au passage que pour Gabrielle surnommée la petite Piggle, la mère avait également noté que le rêve fut perçu comme un signe annonciateur du changement de comportement de sa fille.
Monique Tricot : Idem chez Hans
Dany Cretin Maitenaz : Freud aborde le rêve en disant que : « Nous devons l’élucidation ultérieure de notre cas morbide, à un souvenir qui apparut alors avec la plus grande netteté. Aucun symptôme d’angoisse ne se mêla aux indices de modification du caractère de ce patient avant que n’eut lieu un certain événement, juste avant le quatrième anniversaire de l’enfant. Cet événement est un rêve dont l’enfant se réveilla plein d’angoisses. » Freud n’appelle pas ce rêve un cauchemar, or pourtant il y réfère directement. Il appelle cela « rêve d’angoisse ». Le cauchemar que Freud appela toujours rêve d’angoisse est plus connu sous le nom du rêve aux loups.
« J’ai rêvé qu’il faisait nuit et que j’étais couché dans mon lit. Mon lit avait les pieds tournés vers la fenêtre. Devant la fenêtre, il y avait une rangée de vieux noyers. Je sais avoir rêvé cela l’hiver et la nuit. Tout d’abord, la fenêtre s’ouvre d’elle-même, et à ma grande terreur, je vois que, sur le noyer en face de la fenêtre, plusieurs loups blancs étaient assis. Il y en avait six ou sept.
« Les loups étaient tout blanc et ressemblaient plutôt à des renards ou à des chiens de berger, car ils avaient de grandes queues comme les renards et leurs oreilles étaient dressées comme chez les chiens quand ceux-ci sont attentifs à quelque chose. En proie à ma grande terreur », deux fois le mot terreur est dit dans le rêve, quand même, « En proie à ma grande terreur, évidemment, d’être mangé par les loups, je criai et m’éveillai. Ma bonne accourut auprès de mon lit afin de voir ce qui s’était passé. Il m’a fallu un bon moment pour être convaincu que ce n’était qu’un rêve, tant tout cela m’avait semblé vivant et clair : fenêtre s’ouvrant, et des loups assis, je me calmai enfin, me sentis délivré d’un danger, et me rendormis. »
« C’est donc là », écrit Freud, « le plus ancien rêve angoissant de son enfance dont le rêveur se souvienne, rêve dont le contenu, en rapport avec d’autres rêves qui le suivirent bientôt, présente un intérêt tout particulier. » Suite à ce rêve, Freud demande à son patient de dessiner le tableau qui représentera 5 loups et non 7 loups comme le rêve l’indiquait. Le chiffre 5 constitue la marque de la jouissance dans l’histoire de ce patient.
L’intérêt tout particulier dont parle Freud est le lien de ce rêve avec une scène primitive traumatisante. L’enfant, à l’âge d’un an et demi, a assisté à des ébats sexuels du couple parental lors d’une sieste que l’enfant faisait dans la chambre de ses parents. Cette scène oubliée au moment du rêve, resurgit avec toutes les caractéristiques déformées et déguisées de cette scène primitive. Ce rêve fait la veille de la nuit de Noël, juste avant ses 4 ans : ce patient était né un 25 décembre, réactiva et fit émerger du chaos l’image du coït entre les parents.
Quelles sont les relations, se demande Freud, entre cette scène primitive et le rêve de l’enfant ? Cette scène réapparue sur un mode différé n’a, durant l’intervalle entre un an et demi et quatre ans, rien perdu de sa fraîcheur, écrit Freud. Pourquoi cette scène primitive a-t-elle été réutilisée sous forme de rêve, et non pas de symptôme ou de changement de caractère, par exemple ?quel langage le rêve utilise-t-il pour traduire l’indicible de nos émois les plus profonds ? D’autant plus que dans le récit que fit le patient, la vue de cette scène traumatisante primitive n’a pas eu d’effet, ni de changement de comportement, ni de retard dans son développement ultérieur. Les modifications et les inhibitions de caractère feront suite à l’apparition du rêve. Enfin, pourquoi ce temps entre un an et demi et quatre ans ?
Quelle place venait prendre le rêve dans son rapport au traumatisme de la scène primitive, avant l’entrée en analyse de son patient ? En effet, on peut se demander à quoi correspondait cette construction du rêve, à l’âge de quatre ans, et qu’est-ce qui se passait là pour cet enfant ? Il ne s’agissait pas d’un rêve apparaissant dans l’espace du transfert de la cure, alors, à qui ce rêve s’adressait-il à l’époque ? Pourquoi une partie de ce qui avait succombé au processus du refoulement, est-il réapparu juste à ce moment là dans ce rêve ? L’observation de la scène primitive par ce patient encore infans, privé de langage, eut comme conséquence, écrit Freud, que sa libido fut fendue en éclats.
Faisant suite à une séduction de sa sœur, dans laquelle il était séduit passivement, puis de l’éveil à sa sexualité, le rêve se manifesta en réactualisant la scène primitive. La poussée de l’angoisse de castration, liée à la connaissance de la différence des sexes développa chez ce petit garçon une préoccupation concernant son membre viril, selon l’expression très pudique de Freud, ainsi qu’un renforcement de sa libido génitale narcissique. Le rêve et son lien à la scène primitive, pose plusieurs questions : comment, à un an et demi, l’enfant peut-il recueillir des perceptions relatives à un processus aussi complexe et surtout, pourquoi les conserver aussi fidèlement ? D’autre part un tel rêve avec sa force visuelle, ne saurait laisser un enfant à l’écart d’un récit à une personne qu’il aime ?
Or rien n’indique dans le récit de cette cure que ce jeune enfant se souvienne d’avoir raconté à quiconque. Seule sa Nania, qui était sa bonne d’enfant l’a consolé de l’angoisse, écrit Freud.
Parmi les éléments premiers que l’on peut retenir du rêve, la terreur et la sensation d’une menace, quelque chose de terrible donne à ce rêve une forme cauchemardesque et pas seulement une forme angoissante.
Bien que ce rêve étaye l’architecture phallique, il n’en révèle pas moins le socle du refoulement primaire sur lequel il est construit. La proximité du réel, avec laquelle le rêve flirte, vient interroger la signification du cauchemar dans l’enfance.
Si nous reprenons notre question à partir du refoulement primaire, soit des éléments qui avaient succombé au processus du refoulement, ce qui cherche à se représenter dans le rêve est en fait l’architecture phallique, dira Lacan. Dans un séminaire sur l’angoisse, il écrit à propos du rêve que « la transposition de l’état d’arrêt de son propre corps transforme l’enfant médusé de la scène primitive en un arbre couvert de loups dans ce rêve. » C’est une jouissance présentifiée sous sa forme érigée. Le rêve témoigne de sa recherche conquérante d’être un garçon. Il cherche à conquérir son trophée phallique et obtenir le titre de garçon. Mais pourquoi reprendre des éléments de la scène primitive ?
Un peu plus loin dans son séminaire, Lacan écrira en substance « que le cauchemar questionne la jouissance. » Et j’ajouterai : il interroge le cauchemar là où le rêveur infans ne peut être présentifié que dans sa relation à la jouissance de l’autre. Le cauchemar vient de ce que l’enfant pressent, qu’il peut être englouti, définitivement ou y être livré corps et âme. Dans les consultations en P.M.I. le médecin et le psychanalyste sont sans cesse confrontés à cet espace traumatique de l’enfant pris dans la jouissance de l’Autre .Tous ne font pas des cauchemars bien sûr, mais tous y présentifie la détresse de leur être , cherchant une parole pour les sortir de leur angoisse.
Que s’est-il passé lors de la scène traumatique ? On pourrait la reconstituer : cet enfant est dans la chambre, il est réveillé, c’est l’histoire de la fenêtre qui s’ouvre ; il est réveillé brutalement, il est réveillé parce que les parents sont affairés à leurs rapports. IL est particulièrement immobile, en contraste avec l’agitation frénétique de ses parents. Il est saisi par une stupeur et dans une incompréhension radicale : le comportement de ses parents ne ressemblent en rien avec ceux qu’il peut voir dans la journée, par une agitation hallucinante. Une excitation et une jouissance le saisissent de part en part sans qu’il ait eu un temps suffisant pour se dégager de cette vision. C’est ce qui caractérise le nœud de cette vision : une saisie radicale de la jouissance des parents sur lui, une excitation, sans qu’il y soit préparé. Ses yeux sont ouverts au maximum dans une capacité visuelle à son apogée…, on pourrait dire, hors de lui-même. Quelque chose de son corps et de lui-même disparaît complètement, pour être happé, comme on est happé dans une fascination horrifiée d’un spectacle dont on ne peut pas se détacher….Il disparaît.. et défèque :il produit une merde , objet lâché dans une angoisse traumatique.
L’effet de la jouissance de l’autre sur son corps rend compte d’un état où cet enfant n’existe plus dans ses limites corporelles : tout est dans les yeux, seul élément rescapé, il ne crie pas : rien n’indique dans cette scène qu’il ait crié, simplement, à un moment donné, pris sous l’effet d’une jouissance qui l’envahit de part en part, il expulse le trop plein, il répond par un orgasme anal. En fait il participe dans la scène à la jouissance parentale il est partie prenante à son corps défendant en y perdant sa propre consistance sauf..sa merde !
Monique Tricot : Tout est dans les yeux… et les fèces, structure tout de même la plupart du temps l’organisation obsessionnelle. C’est l’articulation autour de l’objet « a » anal et de l’objet « a » scopique, les constantes de la structure obsessionnelle.
Dany Cretin-Maitenaz : Cette sorte de jouissance le rapt mais le définit, c’est probablement celle-là qui sera le vecteur à l’œuvre dans la fabrication du rêve. Dans la structure œdipienne, le rêve est une tentative pour faire passer cette jouissance du côté de la jouissance phallique. Mais le socle du refoulement primaire sur lequel s’étaye cette première jouissance beaucoup plus féroce empêche l’armature oedipienne et le passage vers la jouissance phallique.
Monique Tricot : Et qui ne le lâchera jamais malgré ses années d’analyse avec Freud.
Dany Cretin-Maitenaz A propos de ce rêve d’angoisse Freud interroge cette sorte de prescience chez un enfant de quatre ans ou d’un an et demi : « Si l’on considère le comportement de quatre ans, en face de la scène primitive réactivée, si même on pense aux réactions bien plus simples de l’ enfant d’un an et demi, lorsqu’il vécut cette scène, on ne peut qu’avec peine écarter l’idée qu’une sorte de savoir difficile à définir, quelque chose comme une prescience, agit dans ce cas chez l’enfant. » Le cauchemar est-il un passage entre la jouissance et cette sorte de savoir si difficile à définir ? Freud va continuer en disant que « Nous ne pouvons absolument pas nous figurer en quoi peut consister un tel savoir. » C’est le savoir de l’inconscient, la rencontre de quelqu’un qui lui signifie. « Si l’homme possède aussi un patrimoine instinctif de cet ordre, il n’y a pas lieu de s’étonner que ce patrimoine se rapporte tout particulièrement aux processus de la vie sexuelle, bien que ne devant nullement se borner à eux. Ce patrimoine instinctif constituerait le noyau de l’inconscient, sorte d’activité mentale primitive, destinée à être plus tard détrônée et recouverte par la raison humaine, quand la raison aura été acquise. » Freud ne renoncera jamais à la raison qui prendrait le pas sur nos passions, tandis que Lacan aurait parlé de raison qui passerait par le langage. Cependant la raison dont parle Freud, n’est pas le produit de la névrose, comme l’exemple d’un enfant qu’on dit raisonnable parce qu’on lui demande de faire taire ses pulsions ; c’est celle au contraire qui consiste à éclairer nos pulsions et à les rendre civilisées. C’est une tout autre façon d’être raisonnable.
Monique Tricot : Tu t’interroges sur la raison, moi je m’interrogerais sur le patrimoine, ce patrimoine instinctif qui a toujours affaire à quelque chose de l’ordre de la vie sexuelle. Ce patrimoine me renverrait à quelque chose qui nous a beaucoup questionnés la première année, c’est la question des rêves symboliques.
Il y a un chapitre très étonnant de Freud dans « La Science des Rêves », qui parle des rêves symboliques, rêves qui, bien que chaque rêve appartienne à un sujet dans sa singularité, rêves qui auraient à chaque fois une signification sexuelle, quelle que soit le sujet qui effectue ce rêve, et presque la même signification, on pourrait dire la signification phallique. C’est à peu près autour de ça que Freud la pense, on n’est pas forcé d’être d’accord avec lui.
Tout d’un coup je me mets à articuler ce chapitre assez énigmatique pour nous aujourd’hui, concernant les rêves symboliques, avec cette idée qu’il y aurait un savoir transmis, savoir qu’il appellerait patrimonial, instinctif, et qui aurait trait à quelque chose concernant la vie sexuelle. Chez Freud cela concerne toujours l’ordre phallique.
Voilà une incidente qui nous permettrait peut-être d’éclairer un point qui est resté pour nous obscur depuis la première année.
Dany Cretin-Maitenaz : Dans les cauchemars, il existe une relation spécifique à ce noyau de l’inconscient. C’est le domaine des sensations et d’une forte émotivité qui échappe aux représentations et qui constitue des points d’appel à l’Autre. Dans mon analyse…, je me souviens très bien m’être rappelé de cauchemars d’enfant qui étaient restés à peu prés en l’état, 2 ou 3. La psychanalyse m’a permis de les reprendre non pas seulement pour les interpréter mais également pour interroger la défaillance dans les supports de la figuration. Souvent dans les cauchemars les procédés de figuration du rêve défaillent, laissant apparaître la proximité du réel.
L’homme aux loups a fait d’autres rêves, moins saisissants que celui des loups Il avait fait le rêve où il était à cheval … Il avait fait aussi le rêve d’un escargot qui avait eu un rapport sexuel : tous ces rêves tournaient d’une manière récurrente autour d’une même ligne, à savoir la lutte contre sa position passive dans un coït et sa difficulté d accéder à une position phallique.
Le rêve d’angoisse de l’homme aux loups puise son allure cauchemardesque dans le traumatisme initial de l’entrée dans la jouissance anale en y disparaissant : il n’y avait plus d’enfant rien qu’un étron ! C’est l’horreur de cette répétition qui est suspendue dans ce rêve, dans laquelle il est déjà pris. Ici les procédés de figuration sont intacts seul l’aspect terreur persiste et signe la menace de disparition.
Revenons à notre petite fille Gabrielle.
Le récit de la cure permet de suivre le travail du transfert et la façon dans la parole opère sur les cauchemars et les symptômes de cette enfant.
La mère de Gabrielle écrit à Winnicott pour lui faire part des tourments de sa fille qui la tiennent éveillée la nuit, mais aussi de « fantaisies nocturnes » qui la font crier et nous appeler sans cesse tard dans la nuit. La « fantaisie » est reconstituée de la manière suivante : elle a une maman et un papa noirs. La maman noire vient la nuit s’en prendre à elle en disant : « Où sont mes « miams » ? Les miams, ce sont les seins, et elle se met à tirer sur ses seins qu’elle appelle ses miams, pour les rendre plus grands ! La seconde « fantaisie » tourne autour du mot « babacar », néologisme inventé par Gabrielle, qui en fait est le diminutif de « baby carridge » comme je vous l’avais déjà indiqué. Toutes les nuits, et à plusieurs reprises, Gabrielle crie : « Raconte moi le babacar, et dis-moi tout sur le babaccar. » L’appel au langage et au discours de l’autre comme tentative de solution !
Dans le récit de cette première lettre, rien ne permet d’affirmer qu’il s’agisse vraiment de rêves. Ce que dit la mère évoque plutôt des terreurs nocturnes, ou des formes d’angoisse cauchemardesques. C’est Winnicott, lors de la première séance qui interprètera « les rêves qui font peur » en posant la scène du rêve qui nouera le transfert.
Lors de la correspondance adressée à Winnicott, la mère relate qu’elle a indiqué à sa fille « qu’elle va aller voir un docteur, le Docteur Winnicott, qui s’y connaît en babacar et en mamans noires. » Non seulement le rêve était central dans ce qui pouvait expliquer la modification du comportement de l’enfant, mais le Docteur Winnicott, s’y connaissait… !
Winnicott laisse filer la chaine associative des éléments de folie de cette petite fille en nouant le rêve au transfert. « As-tu des rêves qui te font peur ? » demande Winnicott, et Gabrielle répond immédiatement : « A cause du babacar. »
Puis dans la consultation, un peu plus loin, il lui reprend le thème du noir, en parlant de la maman noire, qu’il traite comme une métaphore. « Tu n’es jamais en colère après maman ? » lui demande-t-il, en indiquant dans son commentaire qu’il avait pensé que noir pouvait signifier de la colère. D’après ses notes, après la première consultation, Winnicott indique son hypothèse, que le noir signifiait la haine ou la désillusion se rattachant à une mère qui a donné naissance à une petite sœur.
A la consultation suivante, deuxième consultation, deux mois après, Winnicott interprète le babacar, en se référant au dedans de la mère, ce sont ses mots, et c’est là que vient le bébé, quand il nait. Gabrielle d’ajouter alors : »Oui, dans le dedans noir. » Il inscrit le rêve du côté d’une naissance, avec un dedans noir. Puis Winnicott continue en lui demandant : « Est-ce que tu rêves que c’est noir dedans ? » Et Gabrielle de répondre : « Piggle peur ».
Quelque fois Gabrielle se nomme en désignant son surnom Piggle et quelque fois pas. Je me suis interrogée sur le signifiant « piggle », qui est posé dans le livre comme un signifiant sympathique ; en réalité, en interrogeant des profs d’anglais, ils m’ont dit que c’est pas du tout gentil, c’est un signifiant qui est péjoratif, ça veut dire « petite cochonne », mais dans le sens « sale », et dans le sens « mauvais ». Ce n’est pas du tout quelque chose de gentil. Pourtant dans d’autres scénarios de littérature enfantine anglaise les cochons sont représentés comme des héros ! En l’état des choses, je n’ai pas réussi à savoir quelle était l’attitude des parents et surtout de la mère envers ce surnom ?d’où venait-il et pourquoi s’il était péjoratif, la laissait-il s’appeler ainsi ?
Monique Tricot : C’est très étonnant que Winnicott n’en fasse rien.
Dany Cretin-Maitenaz : Il n’en fait rien de déterminant pour notre compréhension de ce surnom.
Monique Tricot : Enfin, il n’interroge pas, parce qu’il ne travaille pas avec ça, il n’interroge pas le désir des parents qui les amène à nommer leur petite fille petite cochonne. Winnicott travaille en bon kleinien avec les fantasmes du sujet, eut-il deux ans, et jamais avec le désir de l’autre dans lequel est pris le sujet.
Dany Cretin-Maitenaz : A un moment de la cure, dans une lettre où elle remercie Winnicott des progrès de Gabrielle, cette mère écrit : « Moi, au même âge que ma fille, j’ai eu la naissance d’un petit frère. » Evidemment ce détail n’est pas rien. Et elle le donne comme ça à Winnicott qui ne travaille pas explicitement avec çà.
Participant : Il me semble qu’à un moment il l’appelle Gabrielle.
Monique Tricot : A un moment il choisit de l’appeler Gabrielle.
Dany Cretin-Maitenaz : Lorsque Winnicott l’appelle par son prénom, elle est sortie du cauchemar et du Babacar.
Comme je vous l’ai déjà indiqué, après la première consultation, Winnicott indique son hypothèse que le noir signifiait la haine ou la désillusion.
Monique Tricot : c’est remarquable oui.
Dany Cretin-maitenaz :
A la consultation suivante, Winnicott interprète le babacar, en se référant au dedans de la mère qui est une position kleinienne. Mais c’est une position kleinienne feutrée. Il lui amène l’interprétation et il attend la façon dont elle va s’inscrire, et si elle va reprendre de ce qu’il lui dit. C’est remarquable dans ce travail. Et même s’il a quelquefois des interprétations de type kleinien, plus direct sur le contenu de la représentation, il soutiendra la capacité de sa jeune patiente à progresser avec son discours.
Dans une séance, elle met un bâton dans la voiture et il lui interprète que c’est le pénis du père dans le ventre de la mère…, et elle, tranquille, continue son jeu. Les interprétations plus directes sur le refoulé de la représentation apparaîtront en fin de cure de manière plus serrée : lui aussi alors est pressé !
Mais au début, il est moins pressé qu’elle. Et il amène ses interprétations, et il attend de voir ce qui se passe pour elle. Il lui dit : « Est-ce que tu rêves que c’est noir dedans ? » C’est à dire qu’il reprend le trajet de ses notes interprétatives et Gabrielle de répondre, « Piggle peur. »
Mais c’est par identification au bébé que Winnicott va sceller le transfert. Winnicott, dira-t-il en substance est le bébé vorace, qui aime tellement le piggle et sa mère, qui a tellement mangé, qu’il est malade. Il fait un jeu de mots sur malade et folie. C’est à dire malade, quand on a trop mangé, on est malade, mais il fait aussi un jeu équivoque sur le malade de la folie, de ce fantasme qui rend la petite fille folle.
Cette identification au bébé vorace permet à Gabrielle de mettre en scène sa naissance, où elle devient un autre bébé que le bébé vorace, cet autre bébé n’étant plus l’expression de la peur du noir et de la haine qui dévorait Gabrielle.
A la fin de cette deuxième consultation, à deux ans et demi, Gabrielle dit : « Je viens de naître, et ce n’était pas noir dedans. » Deux ans et demi, hein ! C’est étonnant de lire comment elle se saisit de ces mots, et comment elle va conduire son analyse .Quelque fois elle mène le jeu. Il la laisse mener le jeu, parce que précisément, il est dans l’étrangeté du babacar, donc il la laisse mener le jeu : jeu de sa parole et de son désir. A la fin de cette 2ème séance Gabrielle mime une naissance entre les jambes de son père et devenait un nouveau bébé laissant Winnicott devenir le bébé vorace et le bébé Gabrielle. Quelque chose repassait du côté du père, phallique ce qui provoqua une résurgence du refoulé !
Il s’en suivit une augmentation radicale du cauchemar. Les parents écrivirent quatre lettres à Winnicott où ils témoignaient de la violence du retour de la maman noire et de la persécution de ce cauchemar qui envahissait tout, à tel point que, disait la mère, Gabrielle voulait porter un tricot noir et des vêtements noirs, puisqu’elle était noire et mauvaise.( Sic.) Noire et mauvaise, ce sont ses mots. Elle dira également à sa mère, parce que sa mère lui demandait : « Est-ce que tu as bien rêvé cette nuit, est-ce que tu as encore fait des cauchemars, est-ce que la maman noire est revenue ? » Et elle lui répond cette phrase qui est absolument sidérante pour une enfant de deux ans et demi : « La maman noire ne vient plus, parce qu’elle est dedans moi. » c’est étonnant !
Pourtant, lors de la troisième séance, Winnicott souligne dès le début que Gabrielle n’est plus prise dans ses cauchemars. Elle interpelle d’emblée Winnicott, en lui disant, deuxième phrase : « J’ai pris le train pour Londres pour voir Winnicott. Je veux savoir pourquoi la maman noire et le babacar. » Winnicott de répondre : « Eh bien, nous essaierons de trouver. » C’est une position, on pourrait dire, classique mais rare chez une enfant de cet âge, avec une telle maturité ! Au bout d’un moment, Gabrielle déclara : « Winnicott ne doit plus être un bébé. Faut être un Winnicott.» Elle lui donne son nom patronymique avec un article : c’est étonnant comment en même temps elle travaille le signifiant, elle travaille piggle, Gabrielle et Winnicott, en lui redonnant une consistance par le nom. Faut plus être un bébé. C’est à dire que, quand il était le bébé vorace, ça allait bien cinq minutes, mais ça l’angoisse. Elle lui dit en substance qu’elle a besoin d’un analyste, elle n’a plus besoin d’un bébé vorace.
A partir de là, la séance évolua vers le jeu et Winnicott lui demanda le rôle à tenir dans le jeu. « Est-ce que je dois être un piggle fâché ? » Et Gabrielle de lui répondre : « Toi, tu es seulement en colère maintenant. » Ce qui permettra à Winnicott de lui dire au bout d’un moment : « J’ai parlé du piggle en colère, fermant les yeux, » il essaie de travailler la métaphore du noir, qui est l’obscurcissement, le mauvais du dedans. Il dira : « J’ai parlé du piggle en colère, fermant les yeux, ne voyant plus la maman qui était devenue noire. Il y a la maman noire, il y a le fait de l’obscurité des yeux fermés, « de ne plus voir cette maman noire parce qu’elle était en colère après elle, parce que papa avait donné un bébé à maman. »Avec son interprétation, il joue sur l’obscurité réelle des yeux fermés mais également sur le désir de ne pas voir que Papa avait donné un bébé à sa femme. Il part des points réels pour filer vers l’architecture du désir oedipien.
A la fin de la consultation, Winnicott lui demanda : « Est-ce que nous avons trouvé, en ce qui concerne la maman noire et le babacar ? » Puis il ajoute : « Moi, j’aurais peur de la maman noire et du babacar. » La fin de la séance fut occupée par le jeu de Gabriel avec un bébé et son propre père.
Dans la séance Winnicott incarne la peur du babacar et incarne la peur de cette enfant, ce faisant incarne aussi cette partie mystérieuse qu’on ne comprend pas, qui est en jeu, du babacar, qui se passe dans la tête de la petite fille : sa réalité intérieure.
Monique Tricot : Tu permets que je dise quelque chose ? Il me semble que, dans ce que tu viens de nous relater, ce qui est extrêmement important dans le maniement du transfert, c’est qu’à trois reprises, Winnicott cherche à prendre sur lui tout le négatif.
D’abord il se fait le bébé vorace, puis ensuite il dit : « Est-ce que je dois être un piggle fâché ? » et puis enfin il dit : « Moi j’aurais peur. » Et ça, je trouve ça très intéressant. Il parlera à propos de la réalité psychique de piggle à un moment, il parlera de réalité délirante. Vers la neuvième séance. Il dit, en fait, finalement, on n’était pas encore dans l’espace du rêve, on était dans la réalité interne, et une réalité délirante.
Et ce fait que Winnicott prenne sur lui tout le négatif, il me semble que ça nous renvoie du côté de deux points : un premier point qui a été soutenu par Françoise Davoine etMr Gaudillère et que nous travaillerons en mars en travaillant avec Benedetti, c’est à dire l’hypothèse que font un certain nombre de théoriciens de la psychose, que dans la psychose, ce qui serait rejeté à l’extérieur, ce serait le bon, et ce qui ferait l’intérieur psychique, ce serait le mauvais. Cela, c’est le premier point.Ca nous renvoie au tout début de la constitution de la psyché, en dehors de la psychose, telle que Freud le pense dans le texte sur la Verneinung où il pense la constitution de la psyché avec un double mouvement qui marche ensemble, d’expulsion du réel et du mauvais, c’est là que le réel se constitue pour se nouer au symbolique et à l’imaginaire, et de Behaung d’intégration d’une part de bon. L’expulsion de ce mauvais fait qu’en même temps, ce mauvais pourra entrer ensuite dans l’espace de la symbolisation.
J’ai l’impression que Winnicott, dans le transfert, en essayant de prendre sur lui le négatif, propose une façon de travailler, qui est une façon de travailler qu’on a aussi dans les structures limites ou dans les psychoses. L’inconscient de l’analyste prend sur lui ou sert de surface d’inscription à tout ce négatif pour que ce négatif puisse se transformer, et puisse, sous une forme qui ne soit plus une forme réelle, prendre place dans la psyché du sujet. Bien qu’il ne l’explicite pas, cela est probablement sa façon naturelle de travailler, c’est cette place que Winnicott vient tenir dans le transfert.
Dany Cretin-Maitenaz : La fin de la séance de cette 3ème consultation fut occupée par le jeu de Gabrielle à prendre soin d’un bébé, c’est à dire en jouant à la poupée, pour la première fois dans une identification maternelle en présence du père.
Monique Tricot : C’est à dire que c’est probablement parce que Winnicott a pris sur lui tout le négatif, qu’elle peut être dans cette positivité. Mais c’est aussi parce qu’il prend ce négatif sur lui qu’elle va pouvoir le ressentir, en dehors du clivage, pendant le temps entre les séances ou pendant les séances. Mais c’est parce que probablement, il le prend sur lui et il le lui rend accessible transformé.
Dany Cretin-Maitenaz : Cette consultation signe le passage du cauchemar au jeu. L’identification de Winnicott au piggle en colère, puis à la maman noire, en soutenant que la maman noire est maintenant Winnicott, et met le piggle dans la corbeille à papier. Mettant le piggle à la poubelle, Winnicott laisse la place à Gabrielle, et au fantasme sous-jacent du cauchemar, avoir un bébé à elle, fabriqué en mangeant. La question qui se pose c’est de savoir pourquoi ce fantasme a chuté, et pourquoi il n’a pas pu filer dans les chaines associatives, et pourquoi c’est le cauchemar qui est venu à la place d’un fantasme, plutôt courant d’une petite fille qui a affaire à une naissance d’une cadette.
Monique Tricot : D’une petite fille dont on nous dit qu’au moment de la naissance, elle va très bien.
Dany Cretin-Maitenaz : C’est la question, en tous les cas, qui est toujours sous-jacente, c’est à dire qu’il semble à nouveau qu’il y ait la question du refoulement primaire qui agit là, et qui soit venu à la fois bloquer le fantasme d’avoir un bébé à soi, sur un mode, on pourrait dire, prégénital, il n’était même pas question d’une structure œdipienne, c’est qu’elle ait un bébé à elle en mangeant. Comment cette identification et cette relation au fantasme n’ont pas pu se constituer ?
Monique Tricot : N’a pas pu faire introjection, et a fait incorporation… de l’horreur.
Dany Cretin-Maitenaz : Dans une lettre consécutive à la séance, la mère constate que le refrain de chaque nuit à propos de la maman noire a pratiquement cessé, et elle ne paraît pas avoir peur d’aller se coucher. Nous en sommes à la cinquième consultation.
A l’ouverture de la séance suivante la 6éme, Winnicott aborde sa petite patiente d’un « Bonjour Gabrielle ! » Cette fois-ci, ajoute-t-il en commentaire, je savais que je devais dire Gabrielle, et pas le piggle. A la lecture de cette consultation, j’ai eu le sentiment que la cure de Gabrielle avait atteint un palier. Le processus des cauchemars s’était transformé par le jeu, quelque chose du transfert entre Winnicott et cet enfant s’était modifié, de même que son langage.
Ce qui est intéressant, c’est qu’avec cette séance, et la précédente, Winnicott lui-même est saisi par le flottement du travail thérapeutique, au point de ne pas savoir s’il fallait envoyer Gabrielle chez un confrère, pour démarrer une cure classique avec plusieurs séances par semaine. Là il a flotté : il y a un palier dans le temps de la psychanalyse, il s’est mis à se demander ce qu’il faisait avec elle, et comment continuer ce travail à la demande ? Il n’était plus sûr de son évolution.
En réponse à la lettre des parents de Gabrielle, il écrit : « D’après ce que j’ai vu de Gabrielle et d’après votre lettre, j’ai tout à fait le sentiment qu’il ne faut plus que nous pensions à elle seulement en termes de maladie. Il y a une grande partie d’elle qui est en bonne santé. » Mais il est également dérouté. « Peut-être voudriez vous bien me faire savoir ce que vous voulez que je fasse. » la mère confirme par lettre après cette consultation, que Gabrielle lui a dit qu’elle « avait rangé la maman noire. »
Pendant cette consultation, Gabrielle regarda l’image d’une petite fille un peu plus âgée qu’elle en déclarant : « bientôt elle grandira et se passera de maman et de papa, et Gabrielle pourra se passer de Winnicott et .de n’importe qui d’autre. » Son discours a complètement changé et bien qu’elle ait effectivement grandi elle a maintenant 2ans et dix mois, cette parole atteste son inscription dans le processus du déroulement de la vie, marquant sa place de sujet en devenir. Les premières expériences de séparation attestaient d’une réalité intérieure qui n’était plus inquiétante.
Toujours à cette même consultation, Gabrielle ouvre la séance en déclarant, quelques minutes après le début : « Tous mes ennuis sont partis. Alors je n’ai plus rien à te dire. Puis j’avais une maman noire qui m’ennuyait, mais elle est partie maintenant. Je n’aimais pas la maman noire, parce qu’elle me disait des bêtises. » En commentaire de cette séance, Winnicott écrira : « Le noir persécuteur appartient au résidu d’une fusion régressive, en une défense organisée. »
A la huitième consultation, lorsque Winnicott lui demandera si elle était débarrassée de ses peurs, Gabrielle fera surgir un dernier personnage : la Suzanne noire, qui était la petite sœur, qu’elle déteste, car elle lui prend tous ses jouets. En fait Gabrielle travaille enfin toute son ambivalence à l’égard de sa sœur Suzanne, et en partant, elle laisse à Winnicott tout le chantier de la séance, ce qu’il entend comme un travail de séparation, avec ce qui est en désordre et en saleté, en folie à l’intérieur de Gabrielle, et elle lui laisse se démerder avec ça. Au début de cette remarque, Winnicott vise le travail d’introjection de ce qui est bon pour Gabrielle et que celle-ci confirme en déclarant à la mère : « J’ai mis tous mes vilains tourments dans Winnicott. » Voilà comment ce cauchemar se termine enfin. Il y a d’autres pistes que j’aurais pu suivre mais ce qui m’intéressait pour notre propos d’aujourd’hui était la place des cauchemars dans la construction psychique de jeunes enfants aux premiers temps de la constitution du langage.
Monique Tricot : C’est vraiment absolument passionnant, cette façon dont tu nous amènes à nous interroger sur la place du cauchemar dans la constitution psychique de l’enfant.
J’avais une autre question, assez proche, c’est : la place que viens tenir la naissance d’un puîné dans la constitution psychique d’un enfant. Du côté de la psychologie, on travaille la naissance d’un puîné du côté de la naissance de la jalousie, ce qui n’est pas rien, et ce qui est fort intéressant, mais ce qui est complètement insuffisant si nous nous situons du côté de la psychanalyse, puisque déjà Freud quand, autour des années 1905, il écrit son petit remarquable texte sur les théories sexuelles infantiles, c’est pour revenir sur ce savoir dont tu parlais tout à l’heure, déjà Freud écrit que ce qui est l’occasion pour les enfants de commencer à constituer leur théorie sexuelle infantile, théorie qu’ils constituent avec ce qu’ils ont à leur disposition, c’est à dire la vie pulsionnelle y compris prégénitale, c’est bien souvent la naissance d’un puîné.
Quand la psychanalyse se met à travailler la naissance d’un puîné, ce n’est pas tant du côté de la jalousie, encore qu’absolument remarquable sur cette question, mais c’est sur le fait que ce trauma, ce trauma est un incube ou un succube questionneur. Ce trauma amène l’enfant à s’interroger sur la vie, la mort, sa sexuation, la différence des sexes, et la procréation. Et alors, quand on va dans « La Science des Rêves », travailler ce qu’on trouve au chapitre « Rêves d’enfants », eh bien il y a d’une part le rêve comme accomplissement d’un désir, et d’autre part, il y a une quarantaine de pages, qui sont consacrées à deux thèmes : le rêve de la mort des personnes chères, et à ce moment là il s’agit des rêves qui suivent la naissance d’un puîné, et d’autre part, les rêves œdipiens.
Mais il faut voir que, alors que Freud ne le formule pas, malgré tout, il l’a formulé à propos des théories sexuelles infantiles, mais il ne le formule pas à propos du rêve, mais on peut dire que la naissance d’un puîné est donc un bébé questionneur ou un pousse-au-savoir. Ce qu’on peut se demander, effectivement, comment il est possible pour un enfant si petit d’intégrer ce questionnement. Parce que cette petite piggle va bien ; à deux ans, elle hérite d’une petite sœur, et c’est à ce moment là que piggle est au bord de la dissociation. Mais est-ce seulement la naissance, ou est-ce, sur la scène psychique, les questions sur la vie, la mort, la différence des corps, la différence des sexes, la procréation, qui vient à un moment où elle ne dispose pas suffisamment de signifiants pour rendre compte de sa question, qui vient la mettre au bord de cet état de dissociation.
Dany Cretin-Maitenaz : La relation maternelle est bouleversée et le lien à sa mère est coupé.
Monique Tricot : Oui. Ca répète le drame qu’a été pour la mère, au même âge, la naissance d’un puîné, et que probablement peut-être, ce bébé, puisqu’elle est presque un bébé, piggle, a affaire à des éléments psychiques dans la mère qui n’ont pas pu métaphoriser ce qui a été en jeu pour elle à ce moment là. Très certainement.
Mais, en fait, entre la huitième et la neuvième séance, il écrit : « Le moment est venu où nous pourrions parler de rêves, au lieu d’une réalité interne, d’un dedans qui était une réalité délirante. Voilà. C’est entre cette huitième et cette neuvième séance. Et à ce moment là elle fait un vrai rêve, qui vient sous la forme d’un récit, elle était couchée, elle a un fusil, et elle essaie de tirer sur sa mère avec ce fusil. A ce moment là, la question de son identité sexuée, elle qu’on a toujours appelée « le » piggle, est vraiment pensée, par une part d’identification phallique avant de pouvoir retrouver la féminité archaïque qui a été refoulée dans le refoulement primaire.
Monique Tricot : Tu sais, tu nous as cité cette cinquième séance après laquelle les parents se demandent si, parce que piggle avec tout ce qu’elle est en train de travailler, elle va vraiment pas très bien, ils se demandent s’il faut lui proposer une analyse en bonne et due forme, à trois séances par semaine, au lieu du célèbre Winnicott tous les deux mois.
Or, à cette séance, piggle avait apporté un rêve tout à fait extraordinaire, qui est déjà un rêve, à mon avis, bien que ce soit à la neuvième séance que Winnicott parle de rêve. Elle apporte un rêve où elle dit, ce qui est étonnant, elle a deux ans et six mois. Voilà le rêve : « Il n’y avait pas de graines qui levaient, ou un petit peu seulement, à cause des mauvaises choses dedans. » Pour moi c’est un rêve, ça. C’est vraiment un texte de rêve. Ce rêve, il ne le travaille pas. Elle l’apporte, il ne le travaille pas.
Dany Cretin-Maitenaz : Il l’entend puis qu’il le rapporte en l’intégrant dans son récit.
Monique Tricot : Mais probablement que si Winnicott dit, mais après tout, laissons la se guérir toute seule, c’est à cause de ces graines qui levaient, même s’il n’y en a qu’un petit peu seulement, mais il y en a. Ce que Winnicott dit quelque part ailleurs, dans un texte sur la psychose : « La psychose guérit toute seule. » Vous avez déjà lu cela ? C’est assez déroutant, quand on sait la difficulté que nous avons dans les cures de psychotiques. Il me semble qu’il y a quelque chose comme cela
Dany Cretin-Maitenaz : Il dit que la psychose guérit toute seule quand elle est en analyse. Il me semble que c’est la dimension analytique par le biais du transfert qui autorise un autre discours que le patient psychotique n’a jamais pu saisir en lui.
Monique Tricot : Oui, mais la phrase présente un côté abrupt.
Dany Cretin-Maitenaz : D’accord, mais contrairement à la position qui dit qu’il faut interpréter, et interpréter encore lorsqu’il y a de la psychose, la position de Winnicott permet une amplitude psychique où il laisse effectivement la psychose aller chercher ce qui est en souffrance et trouver ses signifiants, avant de pouvoir en dire quelque chose. Il fait cela aussi avec certains enfants adolescents psychopathes, on pourrait dire. Il les laisse, il les laisse déployer ce qui n’a pas eu lieu pour eux, d’un rapport à l’autre et au langage, mais il tient un bord. Il tient un bord, il tient un contenant il fabrique un bord là où il n’y a que du trou. Et quelquefois c’est déroutant si on attend une interprétation. Ce sont deux attitudes différentes mais qui donne à penser le rapport à la défaillance du refoulement primaire et à l’archaïque originaire, sans lequel pour la psychose il ne peut y avoir de travail psychique envisageable.
Cela passe par éprouver. La sensation d’éprouver avec un autre. C’est ce qui est déterminant.
Monique Tricot : La psychose guérit toute seul, il faut ajouter tout de même que c’est dans des espaces transférentiels où il constitue un transfert de l’ordre de ce qu’il appelle l’entité nourrisson-environnement pour le tout petit. Et dans lequel probablement, comme on a pu le remarquer pour Piggle, il prend sur lui tous les éléments négatifs, comme fait une mère avec un nourrisson, ou une mère avec un nourrisson prend sur elle les éléments négatifs, qu’elle s’identifie au bébé pour les lui rendre transformés.
Dans la salle une question sur la représentation est posée, au quelle Madame Cretin-maitenaz répond :
Dany Cretin-Maitenaz : Est-ce qu’il y a pas de représentation, ou est-ce que la représentation est trouée ? Le babacar c’est : il y a quelque chose dans sa relation à sa mère que la pulsion sexuelle met en scène : maman a un bébé, et là il y a quelque chose qui fait trou. J’allais presque dire que cela fait trou dans la représentation. Je sais pas s’il n’y a pas de représentation, ça je ne crois pas, mais il y a quelque chose qui vient faire qu’il y a du trou, il y a un trou noir, il y a quelque chose d’un trou noir, qui vient signer, à mon avis, un début d’effondrement.
Cela aurait filé du côté de la psychose infantile. Alors je ne sais pas si c’est la représentation qui est mise à mal ou si cela vient du réel ? C’est souvent le rapport au réel qui vient empêcher un nouage entre le fantasme et le corps. Le nouage qui ne peut plus se tenir, on pourrait dire aussi une désintrication pulsion de vie, pulsion de mort. Il y a quelque chose qui vient filer dans un dénouage , qui ne peut tenir, l’enfant est obligé après de protéger le peu de son psychisme en construisant des remparts : il balise. D’une certaine mesure je pourrais soutenir que le cauchemar est une tentative de guérison
Monique Tricot : Tu dirais, au même titre que le délire.
Participant : Il tente de nouer.
Dany Cretin-Maitenaz : Mais oui, mais il le tente de nouer sur le mode du ratage ou plus exactement du sinthome.
Participant : C’est le ratage du rêve.
Monique Tricot : Oui c’est le ratage du rêve. Mais alors, est-ce qu’il n’y a pas plusieurs types de cauchemars ?
Le cauchemar de l’homme aux loups ouvre comme les rêves sur toutes sortes de fils associatifs. Il y a des cauchemars apportés en analyse qui, il me semble, quelque travail qu’on essaie de faire, n’ouvrent pas sur un fil associatif, des cauchemars dont les représentés dans le cauchemar n’arrivent pas à s’arrimer à une chaine signifiante, même si cela le fige.
Participant : Il y a quelque chose du chaos !
Dany Cretin-Maitenaz : Oui, c’est une tentative de guérison le rêve de l’homme aux loups, pour ne plus faire corps avec cet objet lâché qui le caractérise dans la scène traumatique, pour tenter d’en organiser une représentation.
Monique Tricot : Oui, Lacan travaille le rêve de l’homme aux loups comme le « nachträglich » du trauma, c’est à dire que le rêve serait la deuxième scène, celle qui vient organiser des éléments qui, dans le premier coup du trauma, à un an et demi, étaient des éléments insensés, mais dont Dany a tellement raison d’insister pour dire qu’ils restent néanmoins présents sous le refoulement primaire.
Dany Cretin-Maitenaz : Alors que d’habitude cela bascule dans le refoulement primaire.
Monique Tricot : Et à partir du moment où l’homme aux loups a des significations sexuelles phalliques à sa disposition, il réorganise ces éléments qui sont là, c’est ce qu’on peut appeler des traces, qui sont là sous forme de traces, et la scène du rêve, l’autre scène, permet une mise en scène et une mise en forme dans les mots. Est-ce que tous les cauchemars ont ce destin positif ? Je n’en suis pas sûre.
Dany Cretin-Maitenaz : . A cause de cette proximité du réel et à cause de cette question où le corps n’est jamais arrivé à se reconstituer. .
Monique Tricot : Après. Y compris dans l’analyse.
Dany Cretin-Maitenaz : Il n’a jamais réussi à se reconstituer homme, si je puis dire, destin de son sexe masculin. Il est resté collé à l’objet « a ». C’est ça qui a fait le fond des cauchemars quand on les interprète.
Monique Tricot : Oui, mais cela fait aussi le fond du fantasme.
Dany Cretin-Maitenaz : Quand tu rêves que le succube vient la nuit, et que tu as rien demandé, et tu rêves que il te fait les pires choses par tous les orifices, ce n’est pas forcément sympathique.
Monique Tricot : Les fantasmes ne sont forcément sympathiques non plus.
Dany Cretin-Maitenaz : Mais le fantasme c’est un discours Alors que le cauchemar nous met aux prises avec les limites des mots.
Monique Tricot : Oui, mais ce que je disais, c’est que le « a », s’il le fond du cauchemar, ce avec quoi je suis entièrement d’accord avec toi, il est aussi dans le « s barré » façon « a », qui est l’écriture du fantasme. Mais est-ce que le « a » arrive sous les mêmes auspices dans le fantasme et dans le cauchemar, ce n’est pas certain. Probablement que dans le cauchemar, c’est sa face réelle.
Dany Cretin-Maitenaz : La face qui menace notre position d’être parlant parce que cette face révèle l’envers du désir de l’Autre, auquel jeune enfant je suis assujettit corps et âme c’est la face vorace et prédatrice qui s’y révèle dans son absence de métaphore.
Monique Tricot : Et toute sa sexualité orientée ainsi. Moi je dirais plutôt irruption de jouissance le traverser. Il me semble qu’il n’arrive pas à la traverser. Irruption de jouissance. Si elle était traversée, on serait de l’autre côté.
Participant : Parce qu’il y a la jouissance de l’autre, bien sûr…
Monique Tricot : Ce qu’on peut dire, c’est que le rêve de l’homme aux loups, je ne peux plus l’appeler rêve parce que je ne suis pas capable de trancher pour l’instant entre rêve d’angoisse et cauchemar, donc je vais prendre le générique rêve, le rêve de l’homme aux loups transforme la jouissance de l’autre en jouissance phallique
Dany Cretin-Maitenaz : Le rêve traumatique est fait pour ça. Il est fait pour passer de l’autre bord. Mais il n’y arrive pas.
Monique Tricot : Et Piggle elle y arrive.
Dany Cretin-Maitenaz : Mais Piggle, elle est accompagnée.
Monique Tricot : Elle est accompagnée dans l’enfance.
Dany Cretin-Maitenaz : Elle est accompagnée pas à pas et mot à mot. On peut se demander ce qui aurait pu se passer, si l’homme aux loups était venu, tout de suite après ce rêve en consultation de P.M.I. ? Peut-être aurait-il pu réorganiser sa jouissance en jouissance phallique et accéder à son oedipe.
Si nous revenons à Gabrielle, à la naissance de sa sœur, elle ne sait plus quelle sa place dans le désir de sa mère et ce qui fait le fond du cauchemar c’est l’objet a sans S barré , elle est directement confrontée à « la fonction angoissante du désir de l’autre » selon Lacan « liée à ceci que je ne sais pas quel objet a je suis pour ce désir. »
Le début de la cure se noue autour du « bébé vorace » et cette représentation m’a tout de suite parlé.
Monique Tricot : Un bébé vorace, cela t’a parlé ?
Dany Cretin-Maitenaz : Lorsqu’on lit des récits de cure il y a des interprétations qui nous parlent d’emblée : j’étais à l’aise avec cette représentation.. Par contre quand il dit « Est-ce que tu aimes Winnicott ? » pendant une séance, je me suis demandé ce qu’il voulait lui dire ?
Participant : « Pourquoi tu m’aimes ? «
Dany Cretin-Maitenaz : Oui. « Pourquoi tu aimes Winicott ? » j’aurais été moins à l’aise avec une interprétation comme cela. Mais c’est une interprétation sur la possibilité d’aimer, qu’elle avait perdue, dans l’histoire du babacar.
Monique tricot : Cela renvoie quand même au « Je suis timide » du départ. Quand une petite fille arrive en disant « Je suis timide ».
Dany Cretin-Maitenaz : Alors qu’elle ne renvoie rien de timide pendant toute la cure.
Monique tricot : Oui, elle est tout sauf timide
C’est à dire qu’elle était déjà dans le transfert à Winnicott, puisqu’il était le docteur qui comprenait les babacars et les mamans noires. Donc elle l’aimait déjà, elle était déjà dans l’amour de transfert quand elle est arrivée. Et c’est de cet amour qu’elle était timide.
Participant : ….. des choses qu’il avait à lui dire, pour travailler, du côté de l’amour
Dany Cretin-Maitenaz : Ce qui avait été entravé dans un premier temps, c’est sa capacité d’aimer. Elle ne s’aimait plus, et elle ne pouvait plus aimer sa mère. Et elle ne pouvait plus aimer cette petite sœur, alors elle commençait à se détester. Et quand il lui dit : « Est-ce que tu aimes Winnicott ? », il interroge cette possibilité de renaissance à aimer quelqu’un dans une relation ni fusionnelle justement, ni intéressée, dans une relation de convivialité avec quelqu’un qu’on aime voir et avec qui on aime parler. Il restaurait « le champ de l’Autre » selon la formule de Lacan en resituant l’objet de son désir, parce qu’il s’était offert à l’angoisse et aux terreurs de Gabrielle.
Monique Tricot : Mais c’est de ne plus pouvoir aimer qu’elle est en train de crever, Gabrielle, au moment où elle commence sa cure. Tout devient noir.
Dany Cretin-Maitenaz : C’est un beau travail sur les signifiants. Vraiment, il le traite presque d’une manière lacanienne comme un signifiant, le babacar, ainsi que la chaîne associative, colère, dedans noir, pas noir, etc.
A un moment donné, elle prend une ampoule et elle lui dit « Mets-lui une jupe. J’ai mis du papier autour de l’ampoule, et maintenant, c’est une dame. Va la poser sur l’étagère des livres en face de nous. » Elle introduit la dame support de sa féminité. Elle dit à un moment donné : « Bon. Une couleur rouge » et elle met le rouge sous la jupe de cette ampoule. Winnicott ne lui dit rien, mais pense que, chez une petite fille de quatre ans et demi, elle parle des règles. On est passé du noir au rouge, qui signifie son devenir de femme plus tard. C’est assez stupéfiant de lire ça !
Monique tricot : C’est quelqu’un qui travaille avec son féminin, Winnicott.
Dany Cretin-Maitenaz : Avec son maternel et son féminin. Voilà : le rouge sur la jupe : menstrues : l’idée de l’érotisme génital féminin, de la vulve et du vagin. Il note, il ne lui interprète pas. Il lui laisse reconstituer ça : son devenir de femme. C’est précisément ce qui a manqué à l’homme aux loups : quelqu’un lui authentifie son destin d’être un homme, que le rêve d’angoisse n’a pu faire aboutir
Monique tricot : Qui a abouti dans le cas de Gabrielle parce qu’un analyste était là. C’est notre hypothèse quand j’ai introduit la psychanalyse dans le champ de la P M I, qu’il est extraordinairement précieux qu’un analyste soit là, à certains moments-tournants de la petite enfance, parce que, si on n’est pas là à certains moments, quelquefois, cela a vraiment mal tourné. Ce qui n’arrive pas à Piggle parce qu’il est là.
Merci Dany.