Guy DANA
Pour une psychiatrie soucieuse de la pratique

Journée UTOPSY – le 14 mars 2009

 

Pour une psychiatrie soucieuse de la pratique
Guy DANA
Communication faite à la Journée UTOPSY – le 14 mars 2009

 

Une des façons d’aborder la question des pratiques est de mettre en opposition deux termes : représailles et hospitalité

• le premier, les représailles je l’empreinte à Winnicott.

• le second, l’hospitalité, est un terme cher à Derrida, qui en a fait un séminaire, puis un livre, mais également à Claude Jeangirard, qui évoque un principe soignant à ne jamais récuser, « le devoir d’hospitalité ».

La question des représailles est évocatrice de ce qui peut se passer dans les institutions en particulier dans les unités cliniques. Winnicott est précieux pour déplacer les enjeux et y revenir, les élaborer. Il utilise la notion de représailles quand une mère ne laisse pas à l’enfant le temps d’élaboration qui lui est nécessaire pour qu’il parvienne, lui l’enfant, à une position dépressive, une position qui permette de la séparation, position qui pour Winnicott comme pour Freud est indispensable à sa structuration.
Il s’agit d’un court-circuit, d’un trop-plein d’injonction, d’une volonté d’ordre, d’une attention insuffisante aux demandes comme aux cris ou alors ces demandes bien trop vite rabattues du côté des besoins.
Les représailles peuvent être multiples, mais elles portent toujours atteinte à l’organisation associative de la vie psychique, ce que le terme d’élaboration résume.
Ce peut-être bien sûr aussi un état dépressif chez la mère, mais pour Winnicott cela rejoint une forme de représailles par le fait en définitive que l’enfant n’est pas entendu.
Laisser l’élaboration se faire, laisser l’altérité se reconnaître et se construire.
Or ces principes auxquels la clinique de l’enfant est particulièrement attentive, ces principes liés à l’élaboration et à la relation, la modernité actuelle d’une part, et l’évolution sécuritaire d’autre part, ou encore le déplacement de la relation vers d’autres paramètres que la relation elle-même en particulier vers le bénéfice/risque, ces principes fondamentaux de la relation et de l’élaboration sont aujourd’hui plus que menacés.
Et si nous transposons dans le contexte de l’institution psychiatrique on peut rencontrer, décalquées de ces différentes occurrences cliniques, de ces différentes positions subjectives les mêmes conséquences.
Une certaine forme de dépression dans les équipes, ça arrive aussi, qui va avoir les mêmes conséquences sur les malades, une inattention, une indifférence et l’advenue de réflexes plus proches des représailles au sens winnicottien que de l’hospitalité.
C’est pourquoi la première tâche d’un collectif soignant c’est d’être attentif au désir soignant ce qui n’est évidemment pas la même chose que la fureur de guérir.
Et c’est ce à quoi le mouvement de la nuit sécuritaire d’une certaine façon contribue ; à remettre du débat dans les équipes, à problématiser, à respecter le conflit psychique pour ce qu’il est, c’est-à-dire comportant aussi de l’indécidable !
La relance du débat, c’est évidemment autre chose que la recherche effrénée des résultats, rhétorique connue, et c’est déjà une attention portée non pas aux résultats mais aux effets, ce qui n’est pas la même chose.

A l’inverse des représailles, l’hospitalité est une façon de se mettre à l’écoute du sujet y compris avec nos patients psychosés ; donner hospitalité à ce qui se dit suppose une posture qui est comme l’envers réciproque des représailles, une posture qui laisse place à une élaboration ; en ce sens, l’espace, la notion d’espace doit être de mon point de vue constamment présente. On pourrait dire que l’hospitalité c’est prendre en compte l’espace psychique en priorité, c’est-à-dire avoir comme visée ultime de lever si possible et toujours, de lever l’interdit de penser.

Dans nos institutions, l’hospitalité est une mise en travail qui a pris de multiples formes et tant mieux. Les services ne se ressemblent pas. C’est une des fragilités à quoi nous avons à faire, lorsqu’il s’agit de définir une politique pour la folie. Des expériences tout à fait intéressantes ont été menées ici ou là. Mais il est difficile de les unifier. Chaque collectif soignant aura construit, au fil des années, des modalités qui lui sont propres et qui tiennent à la façon dont chaque praticien, quelque soit son statut, s’est engagé dans la pratique et aussi à la théorie qui soutient la pratique ou plus exactement qui la retrouve à partir de l’expérience.

Ce qui est intéressant avec Winnicott, c’est que ses analyses répondent indirectement à Michel Foucault. Autant ce dernier aura été sensible à tous les instruments du surveiller et punir, et les aura magistralement décrits, autant Winnicott aura mis l’accent sur la sécurité psychique, qu’il ne faut évidemment pas confondre avec le sécuritaire.
Le sécuritaire, résumons-le à nouveau, c’est une politique du court-circuit ; il n’y a pas de débat et ce qui se cherche est prioritairement, exclusivement une soumission. Il ne s’agit donc plus seulement de consentir mais de se soumettre. La notion d’ordre est explicite de même que sa balise, le comportement.
Par opposition, la sécurité psychique, c’est tout autre chose et cela suppose de s’en soucier à plusieurs niveaux. C’est d’abord une écoute au sens analytique où il va s’agir de traiter ce qui s’entend comme un matériau précieux où l’intervalle entre les mots aura autant d’importance que les mots. L’espace c’est apprivoiser l’inconnu de l’intervalle sans construire un persécuteur. Références à Saussure, Jakobson et bien sûr Lacan !
Il est impératif pour moi de constamment distinguer et travailler ce différentiel entre l’ordre sécuritaire et la sécurité psychique, à quoi l’hospitalité cherche à répondre.
Maintenant, Winnicott a un autre intérêt, c’est qu’il permet de penser la folie comme conséquence d’une peur de la folie et je renvoie chacun à ce texte tout à fait déterminant qui s’intitule justement « La peur de la folie » où cette hypothèse est largement étayée. Ça concerne les patients mais aussi nous autres le collectif soignant !

Nous sommes confrontés à des moments de folies bruyantes où l’agitation, le manque de retenue, voire la violence hétéro agressive, cela peut arriver et cela pose la question des chambres d’isolement ; dites aujourd’hui d’isolement. Avant la Loi de 90, elles étaient appelées chambre de sécurité. Il y a eu à cette époque comme un remake de ce qui s’était passé et Foucault le décrit très bien, de ce qui s’était passé au début du XIX siècle le passage du pouvoir souverain au pouvoir disciplinaire. Le pouvoir souverain c’est que l’utilisation de ces chambres de sécurité échappaient à toute réglementation. Une réglementation a donc été mise en place au risque toutefois d’en banaliser l’usage, chacun se défaussant sur la présence déculpabilisante du droit. C’est ce qui s’est produit.
Or ces chambres d’isolement posent la question de leur utilisation au carrefour entre les représailles winnicottiennes et l’hospitalité façon sécurité psychique, apaisement. Y a-t-il des modalités thérapeutiques de leur utilisation qui puisse échapper aux représailles ?
Et pourquoi pas chambres d’apaisement serait-on tenté de proposer ?
Les chambres d’isolement peuvent être utilisées nous le savons soit de façon punitive, comme mise à l’écart du groupe, mais il me semble en suivant les préceptes de Winnicott que nous pouvons aussi les concevoir tout à fait autrement en cherchant à faire valoir les bénéfices retrouvés d’une sécurité psychique.
Ce qui n’est pas acceptable, c’est que, au nom du principe de précaution, la chambre d’isolement est utilisée comme par avance selon la chose déjà jugée.
Ce qui n’est pas acceptable, c’est que la chambre d’isolement soit utilisée pendant des jours, parfois des semaines, certains patients restant prisonniers d’une prescription dont le seul but est d’obtenir une soumission. Le conflit psychique n’est pas travaillé, les effets d’après-coup ne sont pas recherchés et, ce qui n’est pas tolérable, c’est que souvent rien n’est fait pour déconstruire ce cycle bien connu d’une jouissance irrépressible du côté du sujet et, pour compléter le cycle des représailles de l’institution.
Diable du temps institutionnel, de la palabre si elle était valorisée bien plus que le temps de la chambre aurait du sens ne croyez-vous pas ?
Le fond du problème est ailleurs, ces pratiques peuvent dépérir :
Mais à cette fin, il faut la construire l’hospitalité, c’est-à-dire d’abord mettre les équipes en situation d’accueil.
Or pour mettre les équipes en situation d’accueil, compte tenu des effectifs dont nous disposons aujourd’hui, de leur paupérisation, de leur féminisation, il faut, me semble t-il, construire un contenant à plusieurs lieux de telle sorte que ces lieux _Quels sont-ils, je vais y venir dans un instant, ces lieux soient des lieux de suppléance et c’est ce que, pour ma part, j’ai essayé de construire depuis des années.

Ainsi par exemple, les placements familiaux séquentiels, un appartement thérapeutique Loi 86, sont des suppléances ou des lieux qui permettent un accueil temps plein, de même bien évidemment un Centre de crise.

L’équipe soignante de l’unité clinique se trouve alors considérablement soulagée parce que si le nombre de patient au total est équivalent à ce que grosso modo nous connaissons tous, l’unité clinique, elle, garde toujours des lits de libre et cette disponibilité matérielle, cette hospitalité de principe permet d’accueillir, y compris dans des situations dites de violence.
On aura compris que la disponibilité matérielle est la condition d’une disponibilité psychique.
Un malade doit pouvoir rester une semaine comme un an s’il le faut, car perversion ultime, la course à la DmS la plus basse est, il faut le dénoncer haut et fort, au fondement d’un dévoiement des pratiques.
En ce sens et en définitive, et je conclurai sur cette formule que je vous propose ; elle me vient de mon histoire comme de mon analyse et je vous la livre telle qu’elle se formule en moi :
L’hospitalité doit toujours précéder l’hospitalisation.