La situation de la psychiatrie est désastreuse et le mal s’amplifie d’année en année; nous nous proposons de faire un inventaire succinct des maux qui rongent cette discipline. Certes il manque des effectifs et, ce qui n’est pas banal, il manque des effectifs dans tous les métiers de la psychiatrie ; cet état de carence serait suffisant pour expliquer que nombre de praticiens quittent le métier car la dégradation des conditions de travail est peu supportable; pourtant certains vont jusqu’à prendre littéralement la fuite, veulent tourner la page d’un milieu devenu, à bien des égards traumatique pour eux. C’est cet aspect des choses qui mérite un examen attentif.
Il y a en effet des raisons objectives à la mutation qui s’est opérée dans le milieu à commencer par la dépossession que supportent les équipes soignantes dans nombre de domaines ; qui décide de l’ordre du jour d’une CME par exemple ? N’y a t-il pas eu ces dernières années et de façon croissante une trop grande emprise, forme larvée de tutelle exerçée par l’ARS et le ministère sur les pratiques des équipes soignantes et sur leurs orientations? Certes la psychiatrie a toujours été liée à l’état, au monde politique et à ce qui intéresse l’ordre public mais la subordination sans marge d’élaboration n’a jamais été ressentie à ce niveau. Il fut par ailleurs possible jusqu’à une date récente d’initier des projets qui ne soient pas directement articulés à des crédits fléchés ; ce n’est plus le cas. Quant à la part des actes régis par les protocoles, ils s’accroissent d’année en année ajoutant à la dépossession un anonymat qui comme une vague de fond déconsidère la relation et prend une coloration froide, mécanique et là encore sans grande marge d’élaboration. Nous avons perdus l’initiative et fondamentalement nous avons perdus la main. A cette dépossession mais dans la même veine s’ajoute une standardisation des pratiques qui atteint les collectifs dans leur désir de singulariser l’action quotidienne ; or, personne semble t-il ne voit comment desserrer cet étau ; de plus dans le monde de la psychiatrie institutionnelle se constate l’absence d’une théorie de la pratique, l’absence d’une cause commune qui pourrait fédérer les équipes ; au lieu de quoi s’impose une torsion quasi maligne à tout traiter comme une urgence et, au lieu d’accueillir les difficultés qui nous sont confiées, trop souvent nous les évacuont par une ordonnance bien trempée dans le principe de précaution quand ce n’est pas dans une pensée magique : pourtant l’acte en psychiatrie ne peut se réduire à une clinique de la cible ce que peu à peu l’influence du DSM a induit. Vouloir à tout prix prendre les choses par le biais du symptôme accroît l’idée de l’urgence, et, malheuresement cette politique de l’urgence nous fait perdre en discernement et, je le souligne, en globalité et en une véritable politique pour la folie. Entre la folie d’un instant et la folie d’une existence l’adage des aliénistes du XIX siècle s’est perdu au profit d’une mécanique dictée par la seule urgence sous la férule soulignons-le à nouveau, du principe de précaution et sous l’imposition du médicament à quoi trop souvent se résume le soin. Il faut inverser le sablier et se préoccuper en priorité de la folie d’une existence et, d’une façon générale de ce que les psychoses nous enseignent.
Or la France possède un outil qui nous est envié à l’étranger et qui lorsqu’il est bien compris peut surmonter nombre de nos problèmes actuels ; cet outil c’est le secteur ; il faut rappeler qu’à l’origine il voulait permettre l’ouverture des asiles, rapprocher les malades de leur lieux de soin et inaugurer une psychiatrie ambulatoire qui dans les années 60 commençait à s’imposer ; le maître-mot c’était la continuité des soins (sous entendu entre le dedans et le dehors). Or si tous ces critères sont toujours valides, il en est d’autres qui pourraient élargir les enjeux et déplacer une façon de penser dominée à l’origine par la binarité. Le secteur, c’est un contenant et c’est un espace ; c’est un contenant a plusieurs lieux. En ce sens, je ferais valoir que la pluralité des lieux institutionnels (quand ils existent) est un atout considérable parceque ces lieux dessinent un ensemble hétérogène permettant aux patients de faire l’expérience de l’insttutionnel dans des conditions très différentes d’un lieu à l’autre suscitant un éveil indispensable. Ici et là se travaille la perspective, voire la traduction.
Par ailleurs, ce qui s’est perdu, outre le travail psychique et un intérêt porté à l’indétermination chercheuse c’est la notion de collectif soignant ; or ce n’est pas seulement le temps passé à la traçabilité qui use les équipes mais celles-ci ont connus une saine émulation dès lors qu’elles pouvaient débattre, s’exprimer, confronter entre elles des situations cliniques et subjectives où le désaccord au sujet du même patient pouvait se travailler.
Il faut revenir au débat! C’est la voie finale commune vers quoi tout service devrait converger.
J’affirme que la possibilité du débat dans les équipes apporterait à l’ensemble des motivations non négligeables ; de plus la saturation des unités cliniques se ferait moins sentir dès lors que des alternatives à l’hospitalisation sur le mode excusif de l’unité clinique verraient le jour.
Il conviendrait de repenser la psychiatrie sur d’autres bases et voilà la véritable urgence quitte à mettre les moyens qu’il faut pour redonner vie au secteur et redonner la possibilité aux équipes de le soutenir et de s’en faire une cause. Le secteur peut permettre de souligner l’originalité du métier car la psychiatrie ne sera jamais une discipline médicale comme les autres et son horizon dépasse largement le strict cadre d’un acte médical ; en d’autres termes, en psychiatrie, la médecine accompagne le geste thérapeutique mais ne le résume pas et si le collectif soignant éprouve cette nécessité d’un accompagnement par la médecine celle-ci ne doit pas emboliser les décisions.
Or ce qui interroge aujourd’hui dans tous les domaines de la médecine, c’est la mutation observée sur les procédures et l’application du principe de précaution de façon quasi systématique. Que les psychiatres aient à coeur de connaitre la médecine qui s’impose dans leur parcours est une chose mais qu’ils vivent aujourd’hui sous le règne du court-circuit permanent est tout autre chose car ce changement dénature la rencontre et place la médecine protocolisée en position hégémonique dans la décision.
L’acte en psychiatrie doit s’inspirer de paramètres plus complexes car la clinique n’est pas uniquement une clinique du signe mais s’élargit par l’écoute aux sciences humaines ; or celles-ci, lorsqu’on laisse le temps à l’élaboration d”étendre ses appuis, acquièrent une part non négligeable dans la déliberation et dans les finalités poursuivies ; cette distinction entre discipline médicale classique et médecine psychiatrique est fondamentale ; et tant que les pouvoirs publics ne prennent pas la mesure de la complexité de notre discipline, de sa dissidence pourrait-on avancer, le désastre actuel va perdurer. La dépossession, la standardisation, l’anonymat et l’assèchement de tout débat ont eu raison d’un métier qui ne peut s’exercer que si les conditions d’une élaboration libre sont réunies. Or ce n’est plus le cas. Il est clair que cela concerne aussi la formation de celles et ceux que le monde de la psychiatrie a un jour intéressés et qui sont rentrés dans le métier sans que leur motivation ne soit véritablement intérrogée.
Il faudrait donc convoquer aujourd’hui des états généraux de la psychiatrie pour repenser de fond en comble les pratiques comme le secteur lui-même ce qui donnerait sens au recommencer auquel le monde de la psychiatrie ne rechigne pas car ce que ce monde attend c’est l’impulsion pour un véritable renouvellement.
Judith Equilbey, et Guy Dana
Infimière en psychiatrie Psychiatre et Psychanalyste
Animatrice au Boufadou Auteur du livre:
Quelle politique pour la folie?
Le suspense de Freud