Sylvie Benzaquen
Incises de la cruauté

 

Incises de la cruauté[1]

 Même lorsque (la pulsion de mort) entre en scène sans propos sexuel, même dans l’accès le plus aveugle de rage destructrice, on ne peut méconnaître que son assouvissement s’accompagne là encore d’un plaisir narcissique extraordinairement prononcé, en tant qu’il montre au Moi ses vœux anciens de toute puissance réalisés.[2]

S. Freud

L’expérience du déshumain se joue là, au moment où est perdue toute ressemblance, où est perdue au travers de toute ressemblance toute possibilité d’un semblable.[3]

P. Fédida

En séance
A peine avais-je formulé ma remarque au patient assis en face de moi que ses effets immédiats de cruauté m’en ont été audibles et manifestes. Regard comme soudain décillé, stupéfié, afflux de larmes dans les yeux, souffle un instant suspendu. Suivis du retour des mots en un débit bousculé, altéré, comme s’ils s’étaient entre temps lestés d’une matérialité autre, presque tranchante. Ce n’était plus cette parole fluide qui s’était jusque là dévidée pour instruire le procès de certaines instances l’ayant amené à sa condition de victime demandant réparation du préjudice subi. Celui qui parlait à nouveau n’était plus l’homme qui avait soigneusement établi, par avance et sans autre consultation que celle concoctée avec lui-même, les conditions restrictives auxquelles il escomptait bien que l’analyste se soumettrait pour continuer à le recevoir ; Des conditions présentées à l’instar d’un pré-cadre analytique – jour, horaire, fréquence et coût des séances – déjà bouclé et léché au détail près avant même notre première rencontre et de la validité duquel il ne semblait pas un seul instant douter. Quid d’un quelconque interstice qui aurait permis au désir de l’analyste de s’y faufiler, voire même de s’y caler ? Asphyxie totale.

[1] Contribution au livre Les Figures de la Cruauté. Entre civilisation et barbarie réunissant les interventions au séminaire de « Schibboleth, Actualité de Freud », sous la direction de Michel Gad Wolkowicz. Edition In Press. p 121, Mai 2016

[2] S.Freud : Malaise dans la civilisation. PUF 1973, Bibliothèque de psychanalyse, p.76-77

[3] P.Fédida : « Oubli, effacement des traces, éradication subjective, disparition », in Humain/déshumain, PUF, Petite bibliothèque de psychanalyse, p. 28

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