Olivier GRIGNON
Y a t-il encore une place
pour la psychanalyse ?

Le 1er octobre 2010 à Dinan
Intervention aux 39e Journées nationales de la psychiatrie privée.

 

Y a-t-il encore une place pour la psychanalyse

Olivier Grignon
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J’ai commencé mes études de médecine sous l’ancien système où existait encore le concours d’externat des hôpitaux. Nommé en 1967, mon premier Service était un service de chirurgie parisien dont le chef était également président du Conseil de l’Ordre. Notre accueil fut bref. Réunis par un des « brillants » assistants du maître, il se résuma à la consigne suivante : « N’écoutez jamais ce que disent les malades » – et à la suite de ça nous fûmes répartis dans les diverses salles…

Certes, il s’agissait de chirurgie. Mais nous savons que, malgré les diverses dénégations, une frange non négligeable de la psychiatrie applique soigneusement aujourd’hui encore – ou à nouveau – cette posture médicale. Ceux-là, ce que j’ai à dire ne les concerne pas, ça leur serait tout à fait étranger.

À lire les arguments de ces journées, je n’ai ici aucune crainte de ce genre ; ça va me permettre de risquer quelques thèses inconvenantes, même si j’avance à patte de velours.

La psychanalyse est attaquée de toutes parts. Dans les médias, à l’Université, dans les lieux de soin. C’est quand même un paradoxe, car la psychanalyse n’est plus à la mode bien que son vocabulaire soit partout – certes désubstantialisé, vidé de ses vérités conceptuelles, y compris en milieu psychiatrique.

 

À cela, je vois deux ordres de raison.

 

D’abord, le monde a changé.

Ce monde ne veut plus ce dont la psychanalyse s’est trouvée porteuse historiquement, disons brièvement : le parti pris radical de la subjectivation. C’est ainsi, par exemple, que nous assistons à l’éradication progressive de toute dimension de décision, remplacée par des protocoles. Ce qui est incontestablement un signe de décadence.

Nous avons affaire à un nouvel ordre : le management. Un ordre nouveau qui, derrière ses masques de modernisme, de libéralisme et d’efficacité, est un ordre de fer anonyme qui contraint tout le monde – y compris les dirigeants eux-mêmes. Raffinement suprême de la servitude volontaire, c’est maintenant le management « partenarial » : tous unis dans, et par, cette aliénation subjective.

Ces considérations concernent directement le soin psychique, et les vrais praticiens y viendront tôt ou tard. Le soin psychique dans son acte même n’est pas au service du maître, même, et surtout, quand le maître n’est plus identifiable.

De la même façon que je ne nie pas qu’il y ait structurellement une limite à la jouissance, je ne nie pas qu’il y ait des maîtres – ou plutôt des petits maîtres. Mais je leur dis qu’ils ne géreront pas l’anormal sur les critères de la normalité technologique ; et je leur dis que nous, nous devons accueillir et entendre cet anormal jusqu’à un point que ceux qui nous gèrent ne peuvent même pas soupçonner, et qu’on ne le traite pas avec les critères du bon sens ou de la raison raisonneuse. Aller chercher quelqu’un dans son monde pour le ramener parmi nous suppose de savoir se faire un interlocuteur fiable, crédible, et intéressant subjectivement.

Ce n’est pas un art facile. Mais ce qui va le rendre plus difficile encore, c’est de pouvoir rester tout simplement humain dans un monde qui l’est de moins en moins. C’est l’influence sourde et impérialiste de l’idéologie du management, qu’il faut combattre par tous les moyens. Elle est par définition l’ennemi des praticiens que nous sommes, puisqu’elle transforme les personnes en objets.

Cette régression anthropologique est une négation du psychisme ; c’est pourquoi elle vise à remplacer le soin par l’éducation : évidemment, s’il n’y a plus de personnalité, il n’y a plus de troubles de la personnalité ! Il n’y a plus que des comportements à rectifier ou à éduquer. Alors, par exemple, le délire est ramené à une erreur qu’on va rectifier par un apprentissage approprié. Le patient ne délire pas, il se trompe, on va corriger cette erreur.

Comme le disait Dolto, la rééducation est cautère sur jambe de bois tant qu’on n’a pas libéré psychiquement les pulsions qui pourraient l’utiliser.

Il ne s’agit pas de nier l’importance des avancées grandissantes de la neurobiologie, il s’agit de parer à leur alliance naturelle avec le comportementalisme.

En pratique, nous avons toujours à subvertir ces discours, quelles que soient les lumières qu’ils peuvent nous apporter. Ainsi, par exemple, ce qui nous a été dit hier soir par Yehezkel Ben Ari à propos de cette incompatibilité du café et du valium. Car ce que nous nous avons à traiter, c’est qu’il y a pour une part, dans l’exemple qu’il a pris, un rapport d’hostilité entre la mère et l’enfant, puisque ce qui est bon pour l’une est mauvais pour l’autre. Il n’y a rien d’étrange à constater que ces phénomènes psychiques aient une traduction neurobiologique ou l’inverse. Que les effets psychiques d’une cure agissent sur le chlore, pourquoi pas ? Mais est-ce que ça change grand-chose à notre pratique ?

En fait, si on prend les choses avec recul, ces découvertes me suggèrent surtout qu’il n’y a aucun moyen que ça tourne rond, que ça jouisse uniment, tranquillement. Ces contradictions sont structurelles. Mais ça, nous le savions déjà sans la neurobiologie.

Confondre le délire et l’erreur est d’autant plus grave que nier la folie c’est nier l’humanité. Le comportementalisme, c’est Metropolis généralisé et triomphant. Voilà pourquoi j’ai affirmé à Montreuil lors de l’Appel des 39 que nous nous opposons à des pratiques où la soi-disant « guérison » qu’on y promeut est obtenue par des procédés dégradants qui sont une déchéance de l’humain dans l’humain ; un forçage, un dressage du Moi où la souffrance psychique enclose n’y est le plus souvent jamais traitée. La disparition d’un symptôme isolé n’a pour nous aucune valeur anthropologique.

Confondre le délire et l’erreur est d’autant plus grave que nier la folie c’est nier l’humanité. Le comportementalisme, c’est Metropolis généralisé et triomphant. Voilà pourquoi j’ai affirmé à Montreuil lors de l’Appel des 39 que nous nous opposons à des pratiques où la soi-disant « guérison » qu’on y promeut est obtenue par des procédés dégradants qui sont une déchéance de l’humain dans l’humain ; un forçage, un dressage du Moi où la souffrance psychique enclose n’y est le plus souvent jamais traitée. La disparition d’un symptôme isolé n’a pour nous aucune valeur anthropologique.

Confondre le délire et l’erreur est d’autant plus grave que nier la folie c’est nier l’humanité. Le comportementalisme, c’est Metropolis généralisé et triomphant. Voilà pourquoi j’ai affirmé à Montreuil lors de l’Appel des 39 que nous nous opposons à des pratiques où la soi-disant « guérison » qu’on y promeut est obtenue par des procédés dégradants qui sont une déchéance de l’humain dans l’humain ; un forçage, un dressage du Moi où la souffrance psychique enclose n’y est le plus souvent jamais traitée. La disparition d’un symptôme isolé n’a pour nous aucune valeur anthropologique.

 

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